Chapitre 9


***

LES CLOCHES SONNAIENT.   

     

                                 Au fil des jours, nos conversations prirent une tournure nouvelle. Yves me demanda ce que je pensais de la religion, des prêtres et des moines, en particulier. Je lui répondis qu’il y avait assez de choses à faire pour se rendre utile que d’aller s’enfermer dans un monastère. Il eut l’air surpris et me dit qu’il fallait aussi des moines pour réconforter les gens grâce à la prière. En entendant les cloches,  il me dit qu’il se rendait à l’office de 18 heures 30 et me demanda si je serais prête à l’accompagner. Étonnée, je pris mon missel et on se rendit à l’église. Tout le long du chemin, il m’expliqua qu’il avait pris rendez-vous pour aller  faire une retraite dans une abbaye. Pendant toute la cérémonie, je fus surprise par le comportement de mon ami. Il resta en méditation tout le temps que durèrent les prières.

J’avais peine à croire que j’étais à côté du même Yves que celui de la radio.

Deux jours plus tard, il partait en me disant qu’à son retour, il serait un homme neuf. En effet, huit jours après, je fus inondée par les détails de la vie religieuse qu’il venait de découvrir. Il avait eu tout le temps de se souvenir de ses longs moments passés avec l’aumônier de l’hôpital. Il  s’était rappelé cette voix intérieure qui l’invitait à patienter dans ses épreuves douloureuses. Il savait que quelqu’un  d’invisible veillait sur lui et lui insufflait le courage de supporter ses souffrances. Aujourd’hui, il savait que cette force tutélaire   était divine. Le temps était venu pour lui  d’aller à sa   rencontre. Un jour, il me dit:

“ J’ai fait le tour de tout ce que la vie peut apporter, de   l’amour d’une fille à l’amitié d’un garçon. Par tous, j’ai  été déçu. Vous êtes ma seule famille; c’est vous qui m’avez donné un peu de cet oxygène qui aide à mieux respirer. Je ne veux pas vous perdre, mais dans le Morvan, une place m’attend.”A partir de ce jour, il se sépara de tout son bien, matériel et affectif. Un sac lui suffit pour rassembler le nécessaire pour vivre ses premiers mois monastiques. Il me rassurait en me disant:

“ Je te ferai partager mes moindres faits et gestes. Tu m’imagineras au milieu de mes frères”.

 On s’était promis, par la pensée, un temps de dix minutes, chaque jour pour partager nos vies et ne pas rompre le fil de notre complicité malgré la distance qui nous séparait.

                           Il partit la veille de Noël, le cœur léger, attiré par ce havre de paix. Ma vie familiale  continua à se dérouler avec mes fils et mon mari.... Et cette absence. Mon entourage était satisfait de cette rupture.   L’amitié que je portais à Yves n’était pas au goût de tous. Il  ne comprenait pas ce que pouvait m’apporter ce garçon à peine plus âgé que mes fils. Leurs avis m’importaient peu puisque mon mari en avait toujours été témoin. La plus belle phrase que j’ai trouvée pour définir notre  relation est celle-ci :

“L’amour est la rencontre de deux corps, l’amitié est la rencontre de deux âmes.”

Yves, se plaisait à ajouter, avec ironie:

“Pour passer un bon moment avec une fille, on n’a pas besoin de savoir si elle a lu PROUST ou si elle connaît la définition du mot: acrostiche! Heureux ceux qui ont la  chance de pouvoir dire qu’ils ont une amie”.   

                 L’année 1985 commença avec de nombreuses lettres m’apprenaient tout ce qui faisait le quotidien de mon novice. Ces témoignages m’enrichirent, car  ce domaine m’était inconnu.

                Dans le courant du  mois de juin, parmi les missives à l’écriture familière, s’en détacha une, particulière. Elle était signée de Frère BERNARD. Il me demandait de me rendre au monastère pour faire plus ample connaissance. La version  que lui avait fournie Yves ne lui suffisait pas pour se faire une opinion sur “sa” famille adoptive. Rémy fut d’accord pour entreprendre ce voyage. Pour nous, la région de l’Yonne nous était inconnue et c’est dans un décor merveilleux que la route nous conduisit jusqu'au monastère. L’accueil fut des plus fraternels. On nous reçus dans une grande salle, en compagnie du Frère Supérieur et de quatre autres moines, tout aussi sympathiques. Mais Yves n’était pas là! Aux premières questions, je ne comprenais pas bien le but de cette conversation. Frère BERNARD me dit:

“Yves est un jeune homme très difficile à cerner, il veut atteindre la perfection tout de suite et dans tout ce qu’il fait, c’est un gars qui sera malheureux et qui rend aussi  son entourage malheureux!”

Bien sûr, cela n’était pas un secret pour moi et à la question:

« Pourquoi est-il parti de chez vous, s'il y était si bien ? », je répondis que sa vie, n’était pas entre ma cuisine et ma salle à manger et que s’il trouvait son bonheur, ici, j’en étais heureuse pour lui et que, de toute façon, mon mari et moi, le considérions comme un fils! Mon interlocuteur sourit et me fit comprendre qu’Yves avait donné les mêmes arguments. A ce moment précis, il fit son entrée dans la pièce; à son « Bonjour” l’assistance comprit le lien d’affection qui nous unissait. Son Supérieur lui dit :

“Je voudrais bien être à ta place pour avoir la joie d’être aimé, comme toi. Ici, on a pourtant reconstitué un studio pour que tu te retrouves dans l’élément que tu as quitté dans ta vie civile, mais personne ne pourra jamais remplacer Maud et son mari !” A ces mots, j’eus le pressentiment que mon ami s’était déjà remis en question. Je l’interrogeai du regard. Il devina mon inquiétude et me réconforta :

“Je t’assure que tout va bien et pour te le prouver, je vais te donner la date de mon Ordination : le 27 septembre, je serai Frère VIANNEY. Je ne te demanderai pas d’être présente, connaissant ton émotivité, mais je sais que tu seras avec moi  par la pensée.

                               On marcha vers le réfectoire où un repas nous fut servi, mais Yves nous quitta à la porte pour se rendre dans une autre salle spéciale. On nous permit de rester  ensemble pour le café en compagnie de quelques Frères, heureux de partager notre conversation. Par l’intermédiaire des lettres, qu’ils lisaient à haute voix, ils connaissaient tout sur Maud et sa famille et ils étaient contents de pouvoir mettre un visage sur ces noms! On mangea quelques friandises que j’avais apportées et on parla, de l’actualité en général.

Frère BERNARD nous demanda si nous étions satisfaits de cette première approche avec l’Abbaye et nous fit promettre de revenir. Yves prit la parole pour remercier Rémy d’avoir fait le voyage et il lui dit :

“Votre présence m’a donné du baume au cœur et m’a régénéré, jusqu’à votre prochaine visite. Et toi, Maud merci pour ton accompagnement  spirituel, merci pour tes lettres, merci de m’associer toujours à ta vie quotidienne, tu as vu, je n’ai pas choisi la date du 27,  par hasard ! Reviens vite !”

 La nuit tombait sur la campagne du Morvan, quand nous primes congé, renouvelant à  tous le   plaisir  que nous avions eu à les connaître. La lettre d’Yves ne tarda pas à arriver. Je retrouvai en la lisant  toute cette ambiance qu’il m’avait permis de connaître. Il s’en dégageait toujours la même ferveur d’une contemplation religieuse. Pour voir le contraste avec l’animateur de radio, voici une de ses réflexions qu’il m’a envoyé au cours de ses méditations :

“Un peu plus pauvre chaque jour, je cherche le pourquoi de ma venue ou du moins le pourquoi d’y avoir répondu, ce n’est pas si clair! nous voyageons ensemble pour la douceur de la prière, pour l’amour de mon cœur, pour ma foi partagée...

Malgré ce chemin fait depuis un mois, je reste encore à chercher, et ce n’est pas pour t’éviter, ni d’ailleurs pour cet oubli que je ne fais que ruminer... Il commence à pleuvoir dans ma vie? Tu as changé ma  destiné. Tu vois bien que sans regret, mon âme, je veux te l’a donner. Il faut  même que tu acceptes, même si mille épines sont encore plantées...au moins jusqu’au mois prochain.

 Un jour, le ciel restera plus longtemps clair sur les grands jardins noirs de ma vie, couleur d’un désespoir.

Alors dans le nid de mon esprit apparaîtra le chant de votre gloire et se sera comme si la lumière brûlerait mes jardins noirs. Une voix deviendra soleil pour me prédire la mission que vous m’accordez...En sera fini, les passages du faible!”

Tous ces messages me remettaient en questions... son départ. 
Etait-il sur le bon chemin?

Impuissante, je ne pouvais que  vivre au rythme de ses lettres.                                           

                               Avec l’année nouvelle, il fallut que je m’habitue à la nouvelle signature de mon ami. Dans mon cœur, il restait toujours Yves, dans ses écrits, aussi, mais il se rapprochait de jour en jour de ses vœux définitifs et en moi-même, je ne le sentais pas  bien stabilisé... malgré les  convictions qu’il affirmait. Je l’imaginais, seul, dans sa   “cellule”, le soir, dans ses  méditations. Lui qui avait connu la popularité, le renom à travers des différentes stations de radios et maintenant se retrouver, humble et dans     “l’obscurité” de la vie monastique. Je me souviens, quand il m’avait  raconté de son arrivée à Marseille pour la nouvelle fonction qu’il devait occuper dans les locaux de “Radio-Star”: Un de   ses amis était venu le chercher à la gare et au volant de sa Porsche. Au milieu des allées fleuries qui sentaient bon la “Provence”, ils s’étaient rendus dans la somptueuse villa qui abritait la station. Tout lui avait paru irréel: il marchait sur  du velours, les marches qui menaient aux étages étaient en marbre et les salles qui renfermaient les trésors comme la discothèque ou les salons de réceptions étaient dignes d’un décor de film romantique d’ Hollywood.

Ceci n’était que la partie radio. Il y avait aussi, les soirées cabaret où là, les “manettes” n’avaient pas de secrets pour lui.  Il savait jongler avec les “30 cm et les 45 tours” pour  mettre de l’ambiance et pour que chacun trouve son plaisir dans la danse, qui les conduisait jusqu’à l’aube. Comment pouvait-il passer d’un contraste à l’autre aussi facilement? J’enviais sa force de caractère et sa détermination à changer d’horizon. J’attendais fébrilement, la date qui m’annoncerait son Ordination. Elle arriva par courrier comme un faire-part qui informe d’un mariage :

“La date de ma “vêture” est fixée au 27 septembre. La cérémonie aura lieu au chapitre conventuel de la communauté à 20 heures. Je serais très heureux si vous étiez près de moi par votre visite ou votre prière.

Je vous avoue très ému à l’idée de cet évènement. Merci pour ce que vous êtes,

Merci pour le grand secours, parce que grâce à vous, je me suis remis en marche. Parce que vous, vous êtes “vrais». Merci à toi, Maud, Rémy et les garçons. Je vous fais miens dans ma prière. Que le Seigneur vous mène à votre récompense.

                                                                                     YVES.

                                                  Nos obligations familiales ne nous permirent pas de refaire le voyage jusqu’à l’abbaye.  Grâce aux cassettes audio, j’ai été présente à son Ordination, le jour de notre 50ème mois de connaissance. Un texte accompagnait ma lettre :

LA PIERRE QUI VIRE.

DANS LA PLAINE DU MORVAN

SE DRESSE UNE ABBAYE, PLEIN VENT;

A L’ABRI DU MONDE ET DU BRUIT

QUI GARDE DANS SES MURS...MON AMI.

C’EST LA QUE JE SUIS VENUE, UN JOUR

ET DEPUIS TOUTES LES NUITS

JE VAIS FAIRE UN TOUR

PRES DE LA VIERGE OU J’AI LAISSE DES LARMES

J’Y PUISE UNE FORCE

QUI EST MA SEULE ARME.

C’EST CELLE  D’ETRE L’AMIE DE CELUI

QUI Y EST RESTE.

A TOI QUI A CHOISI CETTE VIE,

JE VIENS TE DIRE COMBIEN JE T’ENVIE.

MAINTENANT JE CONNAIS LE CHEMIN A SUIVRE

POUR TE REJOINDRE;

QUAND IL ME MANQUE DU SOUFFLE

POUR SURVIVRE.

LE CORPS NE SUIT PAS TOUJOURS L’ESPRIT,

C’EST MIEUX, IL TIENT MOINS DE PLACE!

LE TEMPS POUR S’Y RENDRE 

EST MOINS LONG...AUSSI!

JE BENIS CET ENDROIT DE CHARME

ET DE GRACE

OU JE RETOURNERAI UN JOUR,

POUR FAIRE LE “PLEIN”

DE CETTE ENERGIE DONT ON A TANT BESOIN

POUR ALLER VERS...DEMAIN.

HIER NOTRE TRAIT D’UNION

ETAIT AVEC CLAUDE FRANCOIS,

AUJOURD’HUI, IL EST DANS UN

“AVE MARIA”!

                                 Par courrier, dans le courant de l’année 1987, Frère VIANNEY, m’annonçât sa visite. On lui   permettait de revoir sa famille, avant de s’engager  définitivement dans la vie monastique. Cela dura jusqu’en  janvier 1988. A chaque fois, la date de ces vacances était reportée, sans aucune autre explication. Je ne voulais pas lui montrer mon angoisse, mais je ne voyais rien de bon dans tous ces atermoiements.

                          Le 27 janvier, avait commencé comme tous les autres jours dans l’espoir de recevoir une lettre! Mais c’est la sonnette qui retentit à 16heures. Ma surprise fut grande quand je vis dans l’encadrement de ma porte, Yves, en civil accompagné de son oncle et sa tante. Il tenait à la main un bouquet de fleurs et il me dit :

“On est le 27, tu pensais bien que je n’allais pas oublier une  date pareille ” Mais le tonton prit la parole :

“Hier, un télégramme du monastère nous a demandé de venir chercher notre neveu, pour qu’il se retrouve au plus vite dans  la vie civile, avant de poursuivre son chemin spirituel. Sa première visite est pour vous.”

La conversation continua autour d’une tasse de thé. On parla  de religion et de famille. Mon mari et moi , nous décidâmes d’offrir à Yves, tout ce dont il avait envie :voyages, parties de pêche, pèlerinages, visites de monuments pour profiter au maximum de sa présence avec nous. La tatan et le tonton furent d’accord pour lui  permettre de s’accorder quelques loisirs. Il reprit avec aisance sa place parmi nous et il profita des derniers jours où notre fils aîné se trouvait à la maison avant son départ pour l’armée. Ils  avaient tant de choses à se dire, tous les deux. Pendant ce temps, les moines ne l’oubliaient pas non plus, il me lisait le courrier qu’il recevait de l’abbaye toujours aussi  fraternel. Mais il était prématuré de ma part de lui demander ses projets futurs. Les semaines passèrent. Il était agréable de retrouver l’ambiance d’autrefois...Mais pour combien de  temps? Je ne pouvais qu’être pessimiste quand je lisais ce qu’il avait écrit pendant ces mois à l’abbaye.

 

SOLITUDE.

Solitude quand tu me tiens,

Toi que je ne veux pas.
Compagnie d’un soir de satin,

Toi que j’invite à mon repas.

Invitée de mes rêves quotidiens,

Solitude quand tu me tiens!

Seul devant un mur tapissé,

Outre le désespoir d’une vie,

Lien d’une amitié déchirée,

Ivresse d’un cinéma fini.

Dis-moi où demain me conduira ma vie!

Je me noie dans le plus profond des chagrins

Solitude...Solitude...quand tu me tiens.


MAUD.