LES
CLOCHES SONNAIENT.
Au
fil des jours, nos conversations prirent une tournure
nouvelle. Yves me demanda ce que je pensais de la
religion, des prêtres et des moines, en particulier. Je
lui répondis qu’il y avait assez de choses à faire
pour se rendre utile que d’aller s’enfermer dans un
monastère. Il eut l’air surpris et me dit qu’il
fallait aussi des moines pour réconforter les gens grâce
à la prière. En entendant les cloches,
il me dit qu’il se rendait à l’office de 18
heures 30 et me demanda si je serais prête à
l’accompagner. Étonnée, je pris mon missel et on se
rendit à l’église. Tout le long du chemin, il
m’expliqua qu’il avait pris rendez-vous pour aller
faire une retraite dans une abbaye. Pendant toute
la cérémonie, je fus surprise par le comportement de mon
ami. Il resta en méditation tout le temps que durèrent
les prières.
J’avais
peine à croire que j’étais à côté du même Yves que
celui de la radio.
Deux
jours plus tard, il partait en me disant qu’à son
retour, il serait un homme neuf. En effet, huit jours après,
je fus inondée par les détails de la vie religieuse
qu’il venait de découvrir. Il avait eu tout le temps de
se souvenir de ses longs moments passés avec l’aumônier
de l’hôpital. Il s’était
rappelé cette voix intérieure qui l’invitait à
patienter dans ses épreuves douloureuses. Il savait que
quelqu’un d’invisible
veillait sur lui et lui insufflait le courage de supporter
ses souffrances. Aujourd’hui, il savait que cette force
tutélaire était
divine. Le temps était venu pour lui
d’aller à sa
rencontre. Un jour, il me dit:
“
J’ai fait le tour de tout ce que la vie peut apporter,
de l’amour
d’une fille à l’amitié d’un garçon. Par tous,
j’ai été
déçu. Vous êtes ma seule famille; c’est vous qui
m’avez donné un peu de cet oxygène qui aide à mieux
respirer. Je ne veux pas vous perdre, mais dans le Morvan,
une place m’attend.”A partir de ce jour, il se sépara
de tout son bien, matériel et affectif. Un sac lui suffit
pour rassembler le nécessaire pour vivre ses premiers
mois monastiques. Il me rassurait en me disant:
“
Je te ferai partager mes moindres faits et gestes. Tu
m’imagineras au milieu de mes frères”.
On
s’était promis, par la pensée, un temps de dix
minutes, chaque jour pour partager nos vies et ne pas
rompre le fil de notre complicité malgré la distance qui
nous séparait.
Il
partit la veille de Noël, le cœur léger, attiré par ce
havre de paix. Ma vie familiale
continua à se dérouler avec mes fils et mon
mari.... Et cette absence. Mon entourage était satisfait
de cette rupture.
L’amitié que je portais à Yves n’était pas
au goût de tous. Il ne
comprenait pas ce que pouvait m’apporter ce garçon à
peine plus âgé que mes fils. Leurs avis m’importaient
peu puisque mon mari en avait toujours été témoin. La
plus belle phrase que j’ai trouvée pour définir notre
relation est celle-ci :
“L’amour
est la rencontre de deux corps, l’amitié est la
rencontre de deux âmes.”
Yves,
se plaisait à ajouter, avec ironie:
“Pour
passer un bon moment avec une fille, on n’a pas besoin
de savoir si elle a lu PROUST ou si elle connaît la définition
du mot: acrostiche! Heureux ceux qui ont la
chance de pouvoir dire qu’ils ont une amie”.
L’année
1985 commença avec de nombreuses lettres m’apprenaient
tout ce qui faisait le quotidien de mon novice. Ces témoignages
m’enrichirent, car
ce domaine m’était inconnu.
Dans
le courant du mois
de juin, parmi les missives à l’écriture familière,
s’en détacha une, particulière. Elle était signée de
Frère BERNARD. Il me demandait de me rendre au monastère
pour faire plus ample connaissance. La version
que lui avait fournie Yves ne lui suffisait pas
pour se faire une opinion sur “sa” famille adoptive. Rémy
fut d’accord pour entreprendre ce voyage. Pour nous, la
région de l’Yonne nous était inconnue et c’est dans
un décor merveilleux que la route nous conduisit jusqu'au
monastère. L’accueil fut des plus fraternels. On nous
reçus dans une grande salle, en compagnie du Frère Supérieur
et de quatre autres moines, tout aussi sympathiques. Mais
Yves n’était pas là! Aux premières questions, je ne
comprenais pas bien le but de cette conversation. Frère
BERNARD me dit:
“Yves
est un jeune homme très difficile à cerner, il veut
atteindre la perfection tout de suite et dans tout ce
qu’il fait, c’est un gars qui sera malheureux et qui
rend aussi son
entourage malheureux!”
Bien
sûr, cela n’était pas un secret pour moi et à la
question:
« Pourquoi
est-il parti de chez vous, s'il y était si bien ? »,
je répondis que sa vie, n’était pas entre ma cuisine
et ma salle à manger et que s’il trouvait son bonheur,
ici, j’en étais heureuse pour lui et que, de toute façon,
mon mari et moi, le considérions comme un fils! Mon
interlocuteur sourit et me fit comprendre qu’Yves avait
donné les mêmes arguments. A ce moment précis, il fit
son entrée dans la pièce; à son « Bonjour”
l’assistance comprit le lien d’affection qui nous
unissait. Son Supérieur lui dit :
“Je
voudrais bien être à ta place pour avoir la joie d’être
aimé, comme toi. Ici, on a pourtant reconstitué un
studio pour que tu te retrouves dans l’élément que tu
as quitté dans ta vie civile, mais personne ne pourra
jamais remplacer Maud et son mari !” A ces mots, j’eus
le pressentiment que mon ami s’était déjà remis en
question. Je l’interrogeai du regard. Il devina mon
inquiétude et me réconforta :
“Je
t’assure que tout va bien et pour te le prouver, je vais
te donner la date de mon Ordination : le 27 septembre, je
serai Frère VIANNEY. Je ne te demanderai pas d’être présente,
connaissant ton émotivité, mais je sais que tu seras
avec moi par
la pensée.
On
marcha vers le réfectoire où un repas nous fut servi,
mais Yves nous quitta à la porte pour se rendre dans une
autre salle spéciale. On nous permit de rester
ensemble pour le café en compagnie de quelques Frères,
heureux de partager notre conversation. Par l’intermédiaire
des lettres, qu’ils lisaient à haute voix, ils
connaissaient tout sur Maud et sa famille et ils étaient
contents de pouvoir mettre un visage sur ces noms! On
mangea quelques friandises que j’avais apportées et on
parla, de l’actualité en général.
Frère
BERNARD nous demanda si nous étions satisfaits de cette
première approche avec l’Abbaye et nous fit promettre
de revenir. Yves prit la parole pour remercier Rémy
d’avoir fait le voyage et il lui dit :
“Votre
présence m’a donné du baume au cœur et m’a régénéré,
jusqu’à votre prochaine visite. Et toi, Maud merci pour
ton accompagnement spirituel,
merci pour tes lettres, merci de m’associer toujours à
ta vie quotidienne, tu as vu, je n’ai pas choisi la date
du 27, par
hasard ! Reviens vite !”
La
nuit tombait sur la campagne du Morvan, quand nous primes
congé, renouvelant à
tous le
plaisir que
nous avions eu à les connaître. La lettre d’Yves ne
tarda pas à arriver. Je retrouvai en la lisant
toute cette ambiance qu’il m’avait permis de
connaître. Il s’en dégageait toujours la même ferveur
d’une contemplation religieuse. Pour voir le contraste
avec l’animateur de radio, voici une de ses réflexions
qu’il m’a envoyé au cours de ses méditations :
“Un
peu plus pauvre chaque jour, je cherche le pourquoi de ma
venue ou du moins le pourquoi d’y avoir répondu, ce
n’est pas si clair! nous voyageons ensemble pour la
douceur de la prière, pour l’amour de mon cœur, pour
ma foi partagée...
Malgré
ce chemin fait depuis un mois, je reste encore à
chercher, et ce n’est pas pour t’éviter, ni
d’ailleurs pour cet oubli que je ne fais que ruminer...
Il commence à pleuvoir dans ma vie? Tu as changé ma
destiné. Tu vois bien que sans regret, mon âme,
je veux te l’a donner. Il faut
même que tu acceptes, même si mille épines sont
encore plantées...au moins jusqu’au mois prochain.
Un
jour, le ciel restera plus longtemps clair sur les grands
jardins noirs de ma vie, couleur d’un désespoir.
Alors
dans le nid de mon esprit apparaîtra le chant de votre
gloire et se sera comme si la lumière brûlerait mes
jardins noirs. Une voix deviendra soleil pour me prédire
la mission que vous m’accordez...En sera fini, les
passages du faible!”
Tous
ces messages me remettaient en questions... son départ.
Etait-il sur le bon chemin?
Impuissante,
je ne pouvais que vivre
au rythme de ses lettres.
Avec
l’année nouvelle, il fallut que je m’habitue à la
nouvelle signature de mon ami. Dans mon cœur, il restait
toujours Yves, dans ses écrits, aussi, mais il se
rapprochait de jour en jour de ses vœux définitifs et en
moi-même, je ne le sentais pas
bien stabilisé... malgré les
convictions qu’il affirmait. Je l’imaginais,
seul, dans sa “cellule”,
le soir, dans ses méditations.
Lui qui avait connu la popularité, le renom à travers
des différentes stations de radios
et maintenant se retrouver, humble et dans
“l’obscurité” de la vie monastique. Je me
souviens, quand il m’avait
raconté de son arrivée à Marseille pour la
nouvelle fonction qu’il devait occuper dans les locaux
de “Radio-Star”: Un de
ses amis était venu le chercher à la gare et au
volant de sa Porsche. Au milieu des allées fleuries qui
sentaient bon la “Provence”, ils s’étaient rendus
dans la somptueuse villa qui abritait la station. Tout lui
avait paru irréel: il marchait sur
du velours, les marches qui menaient aux étages étaient
en marbre et les salles qui renfermaient les trésors
comme la discothèque ou les salons de réceptions étaient
dignes d’un décor de film romantique d’ Hollywood.
Ceci
n’était que la partie radio. Il y avait aussi, les soirées
cabaret où là, les “manettes” n’avaient pas de
secrets pour lui. Il
savait jongler avec les “30 cm et les 45 tours” pour
mettre de l’ambiance et pour que chacun trouve
son plaisir dans la danse, qui les conduisait jusqu’à
l’aube. Comment pouvait-il passer d’un contraste à
l’autre aussi facilement? J’enviais sa force de caractère
et sa détermination à changer d’horizon. J’attendais
fébrilement, la date qui m’annoncerait son Ordination.
Elle arriva par courrier comme un faire-part qui informe
d’un mariage :
“La
date de ma “vêture” est fixée au 27 septembre. La cérémonie
aura lieu au chapitre conventuel de la communauté à 20
heures. Je serais très heureux si vous étiez près de
moi par votre visite ou votre prière.
Je
vous avoue très ému à l’idée de cet évènement.
Merci pour ce que vous êtes,
Merci
pour le grand secours, parce que grâce à vous, je me
suis remis en marche. Parce que vous, vous êtes “vrais».
Merci à toi, Maud, Rémy et les garçons. Je vous fais
miens dans ma prière. Que le Seigneur vous mène à votre
récompense.
YVES.
Nos
obligations familiales ne nous permirent pas de refaire le
voyage jusqu’à l’abbaye. Grâce
aux cassettes audio, j’ai été présente à son
Ordination, le jour de notre 50ème mois de connaissance.
Un texte accompagnait ma lettre :
LA
PIERRE QUI VIRE.
DANS
LA PLAINE DU MORVAN
SE
DRESSE UNE ABBAYE, PLEIN VENT;
A
L’ABRI DU MONDE ET DU BRUIT
QUI
GARDE DANS SES MURS...MON AMI.
C’EST
LA QUE JE SUIS VENUE, UN JOUR
ET
DEPUIS TOUTES LES NUITS
JE
VAIS FAIRE UN TOUR
PRES
DE LA VIERGE OU J’AI LAISSE DES LARMES
J’Y
PUISE UNE FORCE
QUI
EST MA SEULE ARME.
C’EST
CELLE D’ETRE
L’AMIE DE CELUI
QUI
Y EST RESTE.
A
TOI QUI A CHOISI CETTE VIE,
JE
VIENS TE DIRE COMBIEN JE T’ENVIE.
MAINTENANT
JE CONNAIS LE CHEMIN A SUIVRE
POUR
TE REJOINDRE;
QUAND
IL ME MANQUE DU SOUFFLE
POUR
SURVIVRE.
LE
CORPS NE SUIT PAS TOUJOURS L’ESPRIT,
C’EST
MIEUX, IL TIENT MOINS DE PLACE!
LE
TEMPS POUR S’Y RENDRE
EST
MOINS LONG...AUSSI!
JE
BENIS CET ENDROIT DE CHARME
ET
DE GRACE
OU
JE RETOURNERAI UN JOUR,
POUR
FAIRE LE “PLEIN”
DE
CETTE ENERGIE DONT ON A TANT BESOIN
POUR
ALLER VERS...DEMAIN.
HIER
NOTRE TRAIT D’UNION
ETAIT
AVEC CLAUDE FRANCOIS,
AUJOURD’HUI,
IL EST DANS UN
“AVE
MARIA”!
Par
courrier, dans le courant de l’année 1987, Frère
VIANNEY, m’annonçât sa visite. On lui
permettait de revoir sa famille, avant de
s’engager définitivement
dans la vie monastique. Cela dura jusqu’en
janvier 1988. A chaque fois, la date de ces
vacances était reportée, sans aucune autre explication.
Je ne voulais pas lui montrer mon angoisse, mais je ne
voyais rien de bon dans tous ces atermoiements.
Le
27 janvier, avait commencé comme tous les autres jours
dans l’espoir de recevoir une lettre! Mais c’est la
sonnette qui retentit à 16heures. Ma surprise fut grande
quand je vis dans l’encadrement de ma porte, Yves, en
civil accompagné de son oncle et sa tante. Il tenait à
la main un bouquet de fleurs et il me dit :
“On
est le 27, tu pensais bien que je n’allais pas oublier
une date
pareille ” Mais le tonton prit la parole :
“Hier,
un télégramme du monastère nous a demandé de venir
chercher notre neveu, pour qu’il se retrouve au plus
vite dans la
vie civile, avant de poursuivre son chemin spirituel. Sa
première visite est pour vous.”
La
conversation continua autour d’une tasse de thé. On
parla de
religion et de famille. Mon mari et moi , nous décidâmes
d’offrir à Yves, tout ce dont il avait envie :voyages,
parties de pêche, pèlerinages, visites de monuments pour
profiter au maximum de sa présence avec nous. La tatan et
le tonton furent d’accord pour lui
permettre de s’accorder quelques loisirs. Il
reprit avec aisance sa place parmi nous et il profita des
derniers jours où notre fils aîné se trouvait à la
maison avant son départ pour l’armée. Ils
avaient tant de choses à se dire, tous les deux.
Pendant ce temps, les moines ne l’oubliaient pas non
plus, il me lisait le courrier qu’il recevait de
l’abbaye toujours aussi
fraternel. Mais il était prématuré de ma part de
lui demander ses projets futurs. Les semaines passèrent.
Il était agréable de retrouver l’ambiance d’autrefois...Mais
pour combien de temps?
Je ne pouvais qu’être pessimiste quand je lisais ce
qu’il avait écrit pendant ces mois à l’abbaye.
SOLITUDE.
Solitude
quand tu me tiens,
Toi
que je ne veux pas.
Compagnie d’un soir de satin,
Toi
que j’invite à mon repas.
Invitée
de mes rêves quotidiens,
Solitude
quand tu me tiens!
Seul
devant un mur tapissé,
Outre
le désespoir d’une vie,
Lien
d’une amitié déchirée,
Ivresse
d’un cinéma fini.
Dis-moi
où demain me conduira ma vie!
Je
me noie dans le plus profond des chagrins
Solitude...Solitude...quand
tu me tiens.
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