Chapitre 8
***
TOI et MOI
En me levant, ce
matin-là, j’eus le pressentiment que la journée allait
être mouvementée. Le vent avait soufflé toute la nuit.
Mon moral était au plus bas. Au moment où j’allais
prendre le journal, la sonnette retentit et j’ouvris la
porte sur un “revenant”: Yves était en face de moi, pâle.
Il tenait à la main, un paquet enrubanné et en me le
tendant, il me dit, comme s'il ne m'avait quitté que
depuis cinq minutes :
“Je comprends
ton étonnement et tu n'es pas obligé de m’ écouter,
mais au nom de notre amitié passée, laisse-moi entrer
s'il te plait!”
Sur mon signe de
tête, il prit la direction de la salle à manger, s’
installa à la même place, sur la même chaise et me dit,
avec ce sourire auquel on pardonne tout:
“Ça sent
toujours aussi bon chez toi, j'adore la nouvelle
tapisserie du salon. j'arrive de Marseille et ma première
visite est pour toi, j’avais envie de retrouver tout ce
qui fait que l’on se sent bien, en famille. Il m’avoua
que dès son arrivée dans le Sud, il s’était mis à la
recherche d’une ”Maud”, mais ni les minettes à
l’accent chantant, ni les animatrices des stations de
radio n’avaient comblé ce manque. Il était parti
pourtant à cause d’une “overdose” de bien-être. Il
reconnut avoir fait des émissions minables, surtout celle
du jour de ma fête où les deux heures d’antenne furent
consacrées à l’amitié, à chaque annonce de chanson,
il avait bégayé, comme je le lui avais prédit! Comme
preuve de sa sincérité, il sortit de sa poche, la première
lettre que je lui avais écrite avec des titres de
chansons et la dernière s’intitulait: « Ne
me quitte pas! »
Il reconnut avoir agi avec moi, six mois plus tôt, comme
il aurait agi avec une fille de son âge, que l’on
laisse pour une autre!Hélas, je n’avais pas vingt ans,
je n’étais pas sa petite amie et j’avais un mari à
qui je devais du respect dans ma vie conjugale. Je me félicitais
de ne pas avoir eu à essuyer d’échecs amoureux, ce
n’était pas pour souffrir à cause d’un jeune homme
qui ne savait pas reconnaître et accepter son bonheur!
Inconsciemment, je crois qu’il voulait me faire payer
toute l’amertume qu’il avait accumulée, au fil des
années. Aujourd’hui, il reconnaissait son erreur et il
venait me demander: Pardon. Il ne pouvait pas être
autrement, bien sûr: une maman pardonne toujours à son
enfant, de plus, à lui, on ne lui avait pas appris le
verbe: Aimer!
Quand il eut fini
de se raconter, de s’expliquer, il était midi. Mon mari
allait revenir du travail. De lui, j’ignorais quelle
serait sa réaction! Il avait été témoin de ces mois
que j’avais passés, m’interrogeant sans cesse sur le
comportement inattendu d’un ami devenu indifférent.
J’avais laissé parler Yves, sans rien dire, trop occupée
à sécher mes larmes!
Quand
j’entendis la clef dans la serrure, je vins à la
rencontre de mon mari, dans le couloir et d’un seul coup
d'œil, il comprit ce qui se passait dans la salle à
manger. Il me fit comprendre de rester dans la cuisine,
maintenant, l’explication allait avoir lieu entre eux
deux. Les minutes qui suivirent furent interminables.
Pendant ce temps
mes garçons étaient arrivés de leurs collèges et comme
moi, ils attendaient. A tout moment, je redoutais un éclat
de voix et je fus soulagée, quand Rémy ouvrit la porte,
en me disant:
“Viens ajouter
une assiette, puisque ma place est déjà occupée. On a
un anniversaire à fêter et un retour!”
Ému, Yves
regarda mes fils et leur dit :
“Je viens de
recevoir le plus beau cadeau que l’on puisse souhaiter,
je suis fier de vous apprendre que désormais, je deviens
votre grand frère adoptif!”
A l'âge où
l’on aspire à l’indépendance, Yves était à la
recherche d’un appui familial et mon mari l'avait
compris. Moi, j’eus droit au plus beau sourire de « l'ami
prodigue »
et le repas se déroula, comme avant. Quand nous fumes à
nouveau seuls, je pris un air sérieux et je lui dis :
“Tu peux dire
que tu as eu de la chance de refaire ton entrée aussi
facilement! J'espère que je n’aurai plus à revivre une
telle séparation!” Voyant ma sévérité, il
s’approcha de moi, en disant :
“Plus jamais,
je te le promets. Jamais je n’aurais pensé imaginer le
bruit que fait l'absence d’une amie!” Demain, branche
ton transistor sur 98 M.H.Z et je me ferai pardonner par
l'intermédiaire de tes chansons préférées. Je suis le
premier animateur de cette station et c’est moi qui
ouvre l’antenne. Je serai de retour à 14 heures pour
entendre ta critique. Je dois partir, je ne te quitte pas
par la pensée, encore pardon pour mon indélicatesse et
merci pour tout... Maman Maud!”
Sans lui demander
s'il avait gardé son appartement, je l’accompagnai du
regard jusqu’au coin de la rue et, comme à son
habitude, il me fit un signe de la main avant de disparaître.
C’est l’esprit bien occupé que je terminai les tâches
quotidiennes. Jamais avec Rémy nous n’avons reparlé de
leur « tête
à tête »,
je ne sais toujours pas ce qu’ils ont dit et je ne veux
pas le savoir ! Tout est bien comme ça !
Le lendemain, à
mon réveil, mon premier geste fut de tourner le bouton du
transistor et je pus entendre :
“Vous êtes sur
Radio- Flash, je suis votre compagnon du matin, Yves,
j’espère que vous allez me téléphoner nombreux pour
m’encourager pour vous aider à passer une bonne matinée!
C’est Claude
François qui va crier avec moi : “Reste”.
Il ne m’en
fallut pas plus pour comprendre que rien n’avait disparu
de notre complicité et tout au long de ces quatre heures,
il y eut bien d’autres flashs comme « D’amour
ou d’amitié »,
« Merci
pour tout »,
”Ecoute ma chanson”,”Côté soleil”, enfin, tout
ce qui nous avait rapproché!
Malgré le
plaisir des retrouvailles, je restais assez ferme, je
voulais lui faire comprendre que je n’étais pas une
poupée de chiffon que l’on prend ou que l’on pose à
son gré.
Je ne lui avais
jamais rien demandé sur sa vie, après nous! Son emploi
du temps ne lui laissait pas beaucoup de liberté après
ses heures de radio. Quand il me parlait des filles qui le
harcelaient au cours de ses animations, il me disait :
“En plus de
leur passer les disques qu’elles aiment, il faudrait que
je danse avec chacune d’entre elles et je ne te parle de
celles qui me voudraient dans leur lit!”
Nos conversations
reprirent avec tout notre allant d’autrefois. Un jour il
me demanda ce que j’avais pensé des lettres qu’il
m’avait écrites pendant six mois, qu’il n’avait
jamais posté et qu’il m’avait remises le premier
jour. Ce paquet, je ne l’avais pas ouvert, j’attendais
le moment où il serait près de moi pour pouvoir assister
à sa réaction. A leur lecture, je retrouvais bien ce
style qui n’appartient qu’à lui où sur toutes les
pages il implorait mon pardon. Parmi les lettres, il y
avait un classeur un peu plus important, là se trouvait
un texte en forme de “journal intime” où chaque jour
était résumé et où il exprimait son remords d’avoir
agi envers moi, comme il l’avait fait. Je lus ces pages
sans trop faire paraître mon émotion, mais il fallait
que je lui avoue quelque chose : Moi, de mon côté,
j’en avais fait autant. Sur un cahier, j’avais noté
tout ce que j’avais entendu et qui aurait pu faire le
sujet de nos discussions. Il y avait aussi le résumé de
mes journées passées loin de lui. Quand on compara ces
écrits, on remarqua qu’ils présentaient mille et une
similitudes. Voici le début de deux textes écrits chacun
de notre côté, nous leur avions donné comme titre:
“NOTRE HISTOIRE INACHEVEE”.
Version Yves :
“Yves
animateur radiophonique,
Maud auditrice sympathique
Se sont rencontrés grâce à un
micro,
Se sont parlés… que c’était
beau!
Elle l’écoutait, elle
l’enregistrait,
Elle possédait de lui plein de
casettes
De la station où il parlait.
Il offrait une invitation pour la
fête,
« Je »
et « tu »,
on fait un « plus »
Chansons et jeux ont fait le...
reste.
Une fan avait rencontré une fréquence,
Pour lui, c’était une
rencontre pleine de chance....
Par sa faute, il a tous gâché....
Le miroir et son reflet sont brisés..!
Version Maud :
Lui parlait à la radio,
Elle l’écoutait.
Il avait vingt ans,
Elle aurait pu être sa maman.
Ensemble, ils ont fait un bout de
chemin,
Partageant joies et chagrins.
Quand surgit l’autre personnage
Elle comprit que c’était la
fin du voyage.
Il fallait vivre quand même,
Dans sa vie s’était installée
la peine.
Pour combler ce vide, elle le
remplit de points de suspension
Ce n’était pas possible, il
existait une solution!
Pourtant, leur amitié était un
miroir
Où chacun se reflétait pour y
trouver l’espoir...!”
C’était
étonnant, curieux, ahurissant de ressemblance. Sans le
savoir pouvoir écrire la même chose avec pratiquement
les mêmes mots. Comme ces deux, il y en avait dix...
peut-être, vingt...!
Une pensée nous
vint, en même temps:
Faire, de ces
deux manuscrits, un livre condensé de notre vie depuis
notre rencontre. Et c’est ainsi que ligne après ligne,
jour après jour, un livre prit forme, qui a pour titre :
« LE
MIROIR ET SON REFLET ».
Pour le moment, il est en deux exemplaires. Le jour où
Yves m’apporta les pages dactylographiées dans une
reliure fabriquée par ses soins, il me fit un deuxième
cadeau, verbal celui-ci, mais qui est gravé dans ma
mémoire à tout jamais :
“Tiens mon
amie, je te présente notre “bébé”, il pèse 200
pages, je crois que nous l’avons bien réussi
puisqu’il ressemble à nous deux.”. Sur la première
page intérieure, il y avait cette dédicace:
TOI, LE MIROIR…
MOI, LE REFLET!
“Il était une
fois, un livre qui voulait “vivre” et qui,
aujourd’hui, est dans nos mains.
Nous, c’est le
miroir.
La passion,
c’est notre amitié basée sur la compréhension; Notre
complicité est dans notre regard.
Plus de mystère
entre nous, je me sens mieux! Un soleil de souvenirs nous
fera vivre, désormais.
Ton Etoile :
Yves.
C’était la
seule façon, la plus pure et la plus belle de
concrétiser notre amitié. Tiré du classeur, écrit par
Yves, voici le texte qui ne pouvait qu’aboutir à un
“pardon”:
UNE AMITIE.
“JE VAIS VOUS RACONTER UNE
HISTOIRE,
ELLE NOUS VIENT DE L’AUTRE COTE
DU MIROIR.
C’EST UNE BELLE ROMANCE
QUI N’A PAS EU DE CHANCE.
C’ETAIT UNE GRANDE AMITIE
QUI VENAIT JUSTE DE
S’INSTALLER.
C’ETAIT PEUT-ETRE UN “LOVE
STORY”,
MAIS QUI N’A PAS EU DE SURVIE.
ELLE ETAIT SOLIDE COMME UNE
PIERRE
ELLE ETAIT GRANDE COMME LE DESERT
ELLE ETAIT FORGEE DANS LA
DOUCEUR,
C’ETAIT LA RENCONTRE DE DEUX CŒURS.
ALORS POURQUOI S’ETRE DISPUTE,
LE MIROIR EST A JAMAIS CASSE!
J’AI TELLEMENT ENVIE DE L’A
RENCONTRER,
DE POUVOIR, ENFIN LUI REPARLER.
LA VIE EST BIEN CRUELLE,
C’EST TOUJOURS UN DUEL.
JE L’A VOUDRAIS IMMORTELLE
CAR VOYEZ-VOUS, MOI JE L’AIME.
CETTE AMITIE S’APPELLE : MAUD.
JE VOUDRAIS QU’ON ME L’A
RAMENE.
FAUT-T-IL REFAIRE UN TRANSFERT
POUR QUE JE PUISSE REVIVRE DANS
NOTRE UNIVERS?
C’ETAIT UN BEAU DUO
TOUT ETAIT SI BEAU,
NOUS ETIONS FOUS DE RADIO,
NOUS REVIONS AVEC DES PHOTOS.
NOUS ETIONS SUR UN BATEAU
ET IL FAISAIT SI CHAUD.
PEUT-ETRE M’A-T-ELLE OUBLIE,
LES CHOSES ONT BIEN CHANGE.
VA-T-ELLE SE DETOURNER?
JE CROIS QUE JE VAIS FLIPPER!
NON, NON, TOUS EXPLOSE
VITE, VITE, MON “OVERDOSE”.
JE VEUX SON ADRESSE
ELLE ETAIT PLEINE DE TENDRESSE.
CA Y EST, JE VAIS CRAQUER,
VOILA, JE VIENS DE PLONGER
MAINTENANT, C’EST A MOI DE
...PLEURER!”
A la lecture de ce poème, et de
bien d’autres encore plus nostalgiques, j’ai oublié
ma souffrance.
Il reprenait sa
place, comme s’il ne s’était rien passé à une seule
condition, c’est qu’il n’y ait pas une autre
séparation comme la première. En parallèle, tous les
matins, j’avais ma “dose” d’amitié à travers les
chansons qui constituaient son programme. Sans vouloir
paraître trop maternelle, j’osai, un jour, lui demander
s’il prenait le temps de se reposer, de manger et
d’entretenir son appartement .Il me proposa:
“Viens te
rendre compte par toi-même. Si tu veux, je vous attends,
ce soir, tous les quatre, pour une soirée spéciale:
Rongier. Je m’occupe de tout, c’est bien mon tour,
mais je ne t’empêcherai pas de mettre ton petit
“plus”.18 heures 30, devant la porte!”
A l’heure dite,
nous étions chez lui. Ma surprise fut grande, en
pénétrant chez lui : les pièces étaient aménagées
avec goût, aérées. La carpette bien astiquée et rien
d’inutile ne traînait sur les meubles ni dans
l’évier. Je retrouvais dans ses gestes, la même
perfection qu’il avait pour l’écriture. Il était
toujours à la recherche du mot le plus approprié pour le
sens de ses phrases. Chez lui, il se montrait aussi
minutieux! Le dîner se passa très bien, les mets
étaient succulents, «faits maison ».
Au moment de mettre les tasses pour le café, il en ajouta
deux, en expliquant :
“Elles sont
destinés à maman et ma sœur. Je voulais satisfaire leur
curiosité, car depuis que je leur parle de Maud, elles
voient en elle, une petite amie et je vous garantis la
surprise avec un grand “S”.
Dans les dix
minutes qui suivirent, on vit arriver Madame Pauline et sa
fille. A l’annonce de mon prénom, la mère me jeta un
regard sévère et interrogatif. Yves continua les
présentations en disant :
“Je te
présente: Rémy, le mari de Maud, Fabien et Ludovic, les
enfants et bien entendu... mes potes !”
Le comportement
de ces deux femmes m’amusait beaucoup. Yves faisait tout
pour exciter leur jalousie: Comment cette femme, Maud,
pouvait-elle aimer son fils? Elle, sa propre mère ne
l’avait jamais compris ! C’était ce que je lisais
dans les yeux de Pauline. Je m’empressais d’engager la
conversation pour
flatter mon hôte et mettre en valeur toutes les qualités
que je lui connaissais.
Comme si la
réponse avait été préparée d’avance, tel un venin
que l’on crache, Pauline dit :
“Mon fils peut
bien entreprendre ce qu’il veut, il ne réussira
jamais... dans rien ! Quand il aura fini de dépenser son
argent celui qui lui a été versé par les assurances
après son accident, accident qui lui aura été en
quelque sorte utile pour ça, monsieur va se retrouver
“sous les ponts”....mais pas chez moi !” Ces mots
avaient gâché ma soirée. Comment une mère pouvait-elle
parler ainsi ?
L’entremets,
pourtant délicieux, avait un goût amer après ces
paroles blessantes. J’étais mal à l’aise pour mon
ami. Je venais de cerner un des problèmes de Yves. Comme
il devait souffrir de ce manque d’amour maternel.
Pourquoi ne voyait-elle en lui que les aspects négatifs?
Je crois que je venais de me faire une ennemie, en voulant
glorifier son fils. Il était temps de prendre congé.
Yves m’embrassa et me dit :
“A demain,
Maud, pour notre folle après-midi” et en souriant à
Rémy, il ajouta :
“Es-tu toujours
d’accord pour que je t’enlève ta femme! Mon mari
comprenant l’astuce, lui répondit :
“Tu peux bien
la garder le temps que tu voudras, moi, je serai sur mon
vélo!”
Avec cette
phrase, on venait de donner une bonne occasion à Mme
Pauline de réfléchir aux liens amicaux qui nous
unissaient à son fils et de les commenter avec sa fille.
La vie reprit son
cours et l’on ne revint jamais sur cette pénible
soirée. Toutes les fois qu’il le pouvait, Yves, disait
à mes garçons :
“Vous ne savez
pas la chance que vous avez d’être aimés!” Lui se
contentait de cette petite part que je lui offrais.
Heureusement pour lui, il trouvait, grâce à son travail,
la compensation de ce manque affectif. Son dévouement, sa
passion prirent une tournure qui ne me plaisait pas bien.
Son patron lui demandait de continuer ses émissions, sur
cassettes, pour la nuit; et bien sûr toutes les
formalités commerciales faisaient parties de ses
responsabilités. De jour en jour, je vis Yves de plus en
plus soucieux, essayant de prolonger nos soirées
“écritures”, mais sans jamais se plaindre ni se
confier!
Un matin, je le
vis arriver, tout tremblant de froid. Ses vêtements
étaient humides et le sourire avait disparu de ses
lèvres. “Il a plu cette nuit, ton café sera le
“bienvenu” me dit-il, la voix enrouée. Je lui
demandai de m’expliquer ce qui lui était arrivé tout
en lui enlevant sa veste. En reprenant son souffle, il me
dit :
“Depuis un
mois, je n’ai plus de logement. Mon patron m’avait
promis un coin du studio, mais comme son projet pour
continuer la radio a échoué, je me retrouve sans rien!
Je ne t’ai rien dit pour ne pas te faire de peine, mais
pour la première fois, j’ai peur que ma mère ait
raison!
Une assiette fut
vite ajoutée pour les repas, le canapé du salon fut vite
déplié, mais le principal manquait à notre jeune
protégé: Radio- Flash n’émettait plus! On était le
11 mars 1984. A 17 heures, ce même jour, mon fils aîné,
m’informait qu’Yves était à la maison dans un état
dramatique. De retour de chez ma maman, je constatai que,
en effet, son comportement nécessitait la présence
d’une équipe médicale. Dans l’ambulance, il eut la
force de me dire :
“Ce n’est pas
toi que je voulais punir, tu ne mérites pas que je te
fasse de la peine. Pardon. Surtout n’avertis personne de
ma famille, je ne veux que ton soutien et celui de Rémy.
Sa voix était faible, son regard dans le vague, semblait
appeler “au secours”. Dans la salle d’attente de
l’hôpital, les questions se bousculaient dans ma tête
: Comment n’avais-je rien vu? Je me sentais inutile! Un
infirmier s’approcha de mon mari et de moi, en disant :
“Après une
bonne nuit, le moral de votre “fils” sera meilleur, à
l’avenir essayez d’anticiper ses besoins matériels ou
affectifs. Revenez, demain, à 14 heures.” Je n’eus
pas le courage de lui dire qu’il n’était pas mon fils
et que ses soucis ne venaient pas de nous. Rassurée, je
quittai l’établissement, mais sans avoir revu mon ami.
Le lendemain, mon mari se rendit, seul, au chevet de notre
protégé, persuadé qu’ils reviendraient ensemble.
Quelle fut sa surprise de le voir, étendu sur le lit,
prisonnier d’un goutte à goutte et encore plus affaibli
que la veille. En voyant mon mari, Yves lui dit :
“Je ne vois pas
comment ma vie peut prendre une autre tournure, il n’est
pas question que je sois à votre charge. Malheureusement,
je n’ai même pas réussi mon suicide!”
De grosses larmes
coulaient sur ses joues. Il tenait la main de mon mari
très fort serrée dans la sienne et c’est là que Rémy
s’aperçut qu’un bandage entourait le poignet du
malade! Le plus paternellement possible, mon mari lui
répondit :
“Dès demain,
je t’aide à rechercher un emploi rémunéré, je
t’aiderai à retrouver ton équilibre, Maud sera
toujours là pour la tendresse, mais s’il faut te donner
un coup de pied aux fesses... Ce sera mon boulot! Allez,
fiston, je te laisse. Demain je reviens avec Maud pour ta
sortie et je t’apporte un rasoir pour te faire beau !”
Yves lui avait
sourit et lui fit un signe comme pour approuver tout ce
qu’il venait d’entendre. Rémy revint à la maison,
plutôt pessimiste, il me dit :
“Je ne sais pas
si nous ramènerons, Yves, demain; il est très
dépressif. J’ai fait de mon mieux pour lui redonner le
moral. Attendons!”
A 8 heures, un
appel me signalait qu’Yves me réclamait.
L’infirmière qui me parlait s’inquiétait de
l’état de santé de son patient. Je lui dis de
raisonner son malade, que je ne pouvais pas me déplacer
sans mon mari et que, dès son arrivée, nous serions à
ses côtés. Une heure plus tard, un autre appel. Yves
s’était traîné jusqu’à une cabine pour me dire :
« Maud,
je voulais être sûr que tu sois avertie, tu viens vite.
J’espère que tu me comprendras si je te dis qu’avec
le deuxième poignet… Je ne me raterai… pas ! Dis-moi,
à quelle heure vas-tu venir ? »
Sans lui montrer
mon angoisse, je lui répondis :
“Je t’en
prie, laisse le temps à Rémy de revenir de son travail,
je te promets que l’on fera le plus vite possible; sois
raisonnable; tu ne voudrais pas que ce soit moi qui prenne
ta place?”
Au bout du fil,
j’avais l’impression de m’adresser à un enfant de
sept ans. Quand mon mari arriva pour déjeuner, j’avais
déjà enfilé ma veste. Il comprit tout de suite où il
fallait aller! Il me dit :
“Je ne suis pas
surpris; dans l’état où je l’ai vu hier, j’ai bien
senti que le moral ne reviendrait pas facilement, partons
vite!” Comme il me parlait, le chemin jusqu’à
l’hôpital me parut moins long. Yves nous attendait sur
son lit, son plateau repas, intact à côté de lui ! En
nous voyant, il nous dit :
“Il faut faire
quelque chose, le médecin ne veut pas me laisser partir,
il n’accepte pas une adresse d’ami, s’il te plait,
Rémy, va lui parler !”
Restée seule
avec Yves, mes yeux se portèrent sur son poignet bandé;
en soulevant sa main, il me dit:
“J’ai mal, je
garderai longtemps le souvenir de ma bêtise. Ce ne sera
qu’une cicatrice de plus !”A mon regard, il comprit
mon interrogation et poursuivit :
“Avec toutes
mes expériences passées, j’ai réalisé que c’est
dans les épreuves douloureuses que l’ont puise les
choses positives de la vie, celles qui font mal et dont on
se souvient. Regarde nous, si je n’avais pas été
malheureux, je n’aurais jamais éprouvé le besoin de te
connaître! Je ne veux pas te perdre ni toi, ni ta famille :
ma famille d’adoption!”
Je l’avais
écouté sans l’interrompre, essayant de retrouver chez
lui, la fougue que j’avais tant aimée, quand il était
derrière son micro! Tout en essuyant son front ruisselant
de sueur, je lui dis :
“Guéris vite,
j’espère que tu te rappelles quel jour on sera
dimanche, je ne veux pas prendre un an de plus sans ta
présence. Je t’aime; au même niveau que mes trois
hommes, hélas la langue française n’a pas inventé un
mot spécial pour évoquer l’affection qu’on porte à
un ami.”
A ce moment, mon
mari pénétra dans la chambre. Il avait le sourire aux
lèvres. Le médecin autorisait la sortie de son patient
à condition qu’il reste sous notre surveillance. En
ouvrant la penderie, Rémy s’adressa à Yves :
“Allez,
habille-toi vite. On a des achats à faire entre homme, tu
devines pourquoi ?
Yves sourit et il
eut besoin du soutien de mon mari pour retrouver son
équilibre!
Dès son retour
à la maison, je lui fis reprendre des forces en lui
mijotant de bons petits plats. Trois jours après, il
avait repris ses couleurs naturelles et le moral revenait
peu à peu au contact de mes garçons.
Au cours de nos
moments, à deux, petit à petit, sans que je
l’interroge, il m’avoua la malhonnêteté de monsieur
“Radio- Flash”. Il n’avait eu aucun scrupule à lui
faire “vider” son compte en banque, pour se mettre à
l’abri de ses problèmes personnels, lui promettant de
vivre avec lui et sa femme, dans leur villa. Mais, ce
monsieur ne tint pas parole et Yves commença à douter de
tout le monde. Trop pudique pour en parler, il avait
préféré s’éloigner, de ce monde, sans penser à ceux
qui l’aimait sincèrement ! On essaya de lui faire
oublier ce triste épisode en lui offrant un bon repas
pour mon anniversaire. Parmi tous mes cadeaux: disques,
flacons de parfum, confiseries et fleurs, il y avait un
livre à la dédicace suivante :
“Parce que tu es mon amie,
Parce que tu es mon petit
“plus”.
Merci pour tes paroles,
Merci pour tes sourires,
Merci pour tes cadeaux
Et merci d’être toi... tout
simplement !
Ton ami : Yves.”
Le lendemain, la
vie reprit son cours avec un petit boulot pour Yves dans
un magasin qu’il avait connu au temps de ses animations
commerciales. Là, il s’occupait de la gestion; il
restait un peu dans son domaine puisqu’ ‘il était en
contact avec tout ce qui touche le monde de la hi-fi. Il
avait organisé sa vie de façon à avoir un peu
d’indépendance, il continuait à prendre ses repas à
la maison et retrouvait le soir, son canapé et sa dose
d’affection familiale.
Un soir, il fut
content de nous dire qu’il avait rencontré son oncle
qui se ferait un plaisir de l’accueillir chez lui pour
nous permettre de partir en vacances. Ensemble, ils
pourraient parler de sa famille maternelle. Je fus
soulagée de savoir qu’il aurait un toit pendant ce mois
où nous n’étions pas là. Notre absence fut ponctuée
par des lettres et des appels téléphoniques. Je sentais
que notre ami refaisait face, au quotidien.
En septembre, on
retrouva l’habitude des soirées télé, des longues
promenades en famille. Tout s’annonçait bien pour
passer une bonne fin d’année 84.
Parmi ses écrits
qu’il avait griffonnés pendant son séjour à
l’hôpital, j’en ai retenu un que je me permets de
transcrire à la fin de ce chapitre. Il montre le degré
de souffrance morale que mon ami vivait... en solitaire.
Il s’intitule :
JE...!
JE SUIS TRISTE
DANS CETTE SOCIETE
JE VOUDRAIS TANT
ETRE AIME.
POURQUOI VOULOIR
SURVIVRE?
MOI, JE NE FAIS
QUE SOUFFRIR.
JE SUIS UN REVE,
UNE REALITE.
FAIRE CETTE RADIO
SERAIT POUR MOI: TRAVAILLER.
MAIS QUI EST CE :
“ JE”?
“JE” C’EST
VOUS, “JE” C’EST TOI,
TOI, C’EST MOI,
DE L’AUTRE
COTE, DANS LE PARADIS;
LA OU L’ON PEUT
S’AMUSER,
A TOI, JE SOURIS
JE SUIS TRISTE
DANS CETTE SOCIETE,
JE SUIS MALADE D’ETRE SUPPORTE.
“JE” VOUS ALLEZ L’OUBLIER,
IL VA PARTIR POUR UNE ETERNITE.
“JE” C’EST
MOI, MOI, C’EST TOI,
TOI, C’EST LA
MORT, MORTALITE!
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