Chapitre 7


***

LE TELEPHONE PLEURE.

 

Quand je mis les pieds sur le sol, ce vendredi 27 mai, mon premier travail fut de préparer le texte que je voulais offrir à Yves pour nos 1O mois de connaissance. Le titre était facile à trouver : “Dis-moi!”

“Il y a 10 mois, je disais “bonjour” à une voix amie...

Comme peut l’être une compagne des ondes;

Et quand je pense au chemin parcouru, quelle ronde!

Aujourd’hui, j’ai accès dans les recoins de ta vie,

Là, seulement où y est permit le nom d'amie.

Où nous conduira cette ascension?

Dont chaque jour accentue la progression.

Pour hier et aujourd’hui...

Je te dis” Merci” d’être entré dans ta vie.

Dis-moi qu’il n’y aura jamais... d’adieu!”

Je ne sais pas quel pressentiment m'avait poussé à écrire cette dernière phrase. Pourtant...!

Ce qui me parut bizarre, tout au long de sa matinée radiophonique, c’est qu’il n’y eut aucune allusion à notre complicité comme il savait si bien le faire! J’attendis son retour pour fêter notre 27, et, à 14 heures, c’est un bien triste appel que je reçus. En effet, Yves m’informait que désormais il ne fallait plus que j’attende ses visites, qu’il n’éprouvait plus le besoin de poursuivre nos relations et de toute façon, sa vie continuait ailleurs que dans la région. Je n’eus pas le temps de parler, le combiné lançait son “bip” strident! Une seule solution s’offrait à moi, c’était de redescendre sur terre! A ce moment, mes yeux se portèrent sur son dernier cadeau:

Un magnifique portrait de femme en étain et je me souviens des mots qu’il avait prononcés, en me le donnant:

“J’ai retrouvé en ce visage tout ce qui te caractérises. Tu es ce portrait en réalité. Tiens, mon amie, pour nos neuf mois de rencontre!” Et voilà que tout se terminait, sur ces quelques mots cinglants.

Je n’ai pas cherché à le rappeler. Mais bien souvent, j’ai pris un bloc de papier et je remplissais les pages; elles commençaient toutes par “pourquoi?”. Sans adresse, je ne pouvais pas les envoyer. Je les ai toutes gardées.

En voici une :

LA LETTRE QUE TU NE RECEVRAS JAMAIS.

Il y avait pourtant du soleil le dimanche où le téléphone retentit. Après avoir difficilement reconnue ta voix, (moi qui ne connaissait qu’elle!) je compris que tu venais me dire “adieu”. Pourquoi?

C’était le remerciement de dix mois d’une intense amitié. Je t'avais tout donné: tout ce que l’on peut donner à son enfant pour le satisfaire. et qui après être rassasié par vers un ailleurs, à la recherche d'autre... chose. Tu m’avais tant gâté pendant nos longs dialogues en tête à tête, je ne peux pas comprendre ton départ. Je ne te demandais pas grand’ chose: ta présence de temps en temps. Un appel pour un “bonjour”.

Tu savais le mal que me provoquaient tes silences. Aujourd’hui, mes larmes t'ont laissé indifférent. Quand tu as raccroché, le “bip” du combiné a raisonné si fort que j’ai le bruit encore dans les oreilles! Tout était terminé! Plus jamais, je n’entendrais ta voix qui pendant 300 jours avait répondu, sans contrainte à mes questions. Je m'en veux de t’avoir si maternellement... aimé. Mais je ne regrette rien. Là où tu es parti, ma place a due être facilement remplacée. Je t’en supplie ne donnes pas nos souvenirs! Je sais que moi, je garde ton nom, dans mon cœur. Si un jour, tu as envie de revenir, tu n’auras qu’un geste à faire, en venant sonner à ma porte ou en faisant les chiffres qui séparent nos deux voix. Ce jour-là sera le lendemain d’un “au revoir” et non pas celui d’un “adieu”! Fais ce que tu veux, sois heureux… sans ma peine. Elle n’est qu’à moi: l’égoïste!

                                                Une voix qui t’appelle ...

C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai repris ce texte pour l’insérer maintenant dans les pages de ce livre.

Benoît revint encore à la maison, lui aussi surpris par le comportement de son copain, mais sans me fournir la moindre explication. J’avais l’impression de lire dans son regard :

“Gardes le moral, moi, je suis là pour le remplacer.”

Un jour, il me fit la surprise de me présenter une jeune fille qu’il avait connu en Ardèche, sur son lieu de vacances. Elle aussi était tombée sous le charme de sa voix romantique. Tout de suite, un élan de sympathie nous unit. On se découvrit beaucoup de points communs au niveau des loisirs, de la cuisine, des artistes et surtout quand elle m’avoua que nous avions un ami commun qui était Yves Rongier. Il avait été son voisin et l’avait connu quand il travaillait chez le cordonnier. Toutes ces conversations autour de notre ami commun, agaçaient légèrement Benoît. Au fil des jours, je vis le caractère de Benoit changer. J’avais l’impression qu’il regrettait de m’avoir fait connaître Mélanie. Je lui fis comprendre que je restais très attaché à lui pour d’autres raisons. L’amitié de Yves avait été une Je lui rappelais le plaisir que me procurait ses spectacles quand je me retrouvais à sa table ou au premier rang, pour être le mieux placée; quand il me permettait de lui enfiler sa veste de scène et avoir le privilège de l’embrasser avant de monter sur scène. Mais hélas, il était trop souvent sollicité. On lui avait promis tant de choses qui n’ont jamais aboutit. Il avait bien besoin de notre soutien, Mélanie par son amour et moi pour la partie maternelle. Son plaisir restait ses passages sur les podiums.

Le soleil des vacances me permit d’oublier un peu cette absence. La radio ne résonnait plus dans la maison. Je me rendis à un ou deux galas pour ne pas trop peiner Benoît, mais le cœur n’y était plus.

Un jour, je reçus l’appel d’un animateur d’une radio voisine qui avait entendu mes poèmes et qui désirait les passer sur son antenne. Il me donnait accès au studio, à l’heure que je voulais, mon heure lui accorderait toujours. J’hésitais à donner une réponse. La voix insista: “Dites oui, Maud, moi aussi je m’appelle Yves!”

Mon mari qui était à côté de moi me conseilla:

“Tentes une nouvelle fois ta chance, si ça ne marche pas, tu sais, maintenant, ce que c’est qu’une déception!” Malgré cette tentative, ma passion pour le monde de la radio s’amenuisait car, intérieurement, j’étais toujours à l’écoute de cette voix qui m’avait fascinée, un matin, sur les ondes... et que j’avais perdue. J’appris par Benoît qu’Yves Roger se lançait dans la radio estivale par l’intermédiaire d’un camping où on lui proposait de réveiller les campeurs et de faire les animations, le soir, sur un podium, pour la plus grande joie de ces demoiselles. L’ami chanteur serait là pour le côté romantique. C’était l’idéal pour conjuguer travail et loisirs. Tout l’été, Yves devint “cigale. Le gérant, content de lui, il lui proposa de le suivre à Marseille où une radio locale était à la recherche d’un bon animateur. C’est ainsi que Radio Lotus perdit le compagnon des ménagères.

A la rentrée de septembre, je gardai une oreille à l’écoute de cette petite station, avec l’autre Yves qui sentait bien que quoi qu’il fasse, il ne pourrait jamais remplacer mon chouchou.

J’avais pourtant accès aux portes du studio, quand je voulais, je pouvais prendre l’antenne à tout moment pour un poème ou un dialogue avec l’invité du jour. Mais, il manquait l’autre voix à mon bonheur radiophonique.

Un jour, une amie me confia qu’elle s’ennuyait pendant ses heures de loisirs : Pour des raisons professionnelles, elle était partie s’installer dans le sud de la France et s’y sentait seule. Je lui dis, simplement :

“Écoute la radio, et si tu as le plaisir d’avoir de l’autre côté de ton transistor une” voix” qui s’appelle Yves, tu seras comblée!” Arrivée à son domicile, elle mit mon conseil en pratique et elle eut le plaisir de découvrir un programme romantique, à souhait. Elle fut bercée, pendant trois heures, par nos chanteurs les plus charmeurs. Elle attendit le moment où l’animateur prenait congé de ses auditrices et elle fut surprise d’entendre :

“C’était votre fidèle serviteur Yves Roger qui vous tenait compagnie depuis 14 heures. Pour vous dire “au revoir” c’est Claude François qui va m’aider. Voici un message que j’adresse en particulier à une amie qui malheureusement ne peut pas m’entendre, mais je sais que, là où elle se trouve, elle pense la même chose que moi: Claude...”Dis-lui pour moi !” Pardon pour mon émotion et peut-être à demain.”

Pendant que le disque passait à l’antenne, Soizic appela sa sœur:

“Maud avait raison, “son” Yves anime Radio Star. Il vient de lui offrir une chanson, avec des sanglots dans la voix. Dis-le lui vite!”

La commission fut faite. J’avais eu raison. Yves était bien là où je l’imaginais.... Et il avait des sanglots dans la voix pour faire son annonce! Il avait bien changé, il m’avait toujours dit que s’il entendait un animateur faire une dédicace personnelle dans son émission, il le virerait aussitôt! Si lui venait de le faire, il n’était plus :

Yves Roger...!

Le lendemain, quand Soizic alluma sa radio, Yves n’était pas à l’antenne!

On était le 15 novembre 1983.De quelle nature était cette nouvelle “épine” qui venait de le piquer! Une de plus. Et je n’étais pas à ses côtés!

A la lecture des textes qui étaient rassemblés dans son classeur: Spécial Maud”, j’ai puisé celui-ci:

A TOI.

Avec toi, j’ai eu de bons moments

Ensemble on a vécu un bonheur.

L’aventure avait commencé au printemps,

J’avais trouve un grand cœur.
Je croyais l’avoir, cette amitié et pourtant,

J’ai tout effacé!

Un beau matin, je suis parti,

Laissant un souvenir sali.

Je voudrais effacer de ma mémoire,

Ce que fut vraiment pour moi... Ce cauchemar!

Mon amie, ne soit pas si terrible,

Cette absence me manque,

Elle est horrible.

Pourquoi ne me dirais-tu pas : “bonsoir”,

Juste une fois, dans mon rêve

Pour oublier le...Noir!

                                                                                    A SUIVRE.


MAUD.