EN HOMMAGE A MAX MEYNIER

Animateur de radio: « LES ROUTIERS SONT SYMPAS »

Décédé le 23 Mai 2006

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 LE PETIT GARÇON ET LE ROUTIER.

Je ne crois pas qu'on se connaisse, vous et moi.
Mais je suis à peu près certains qu'on a bien dû se rencontrer.
Quelque part sur la route, dans un pays quelconque,
Vous au volant de votre voiture,
Moi à la cabine de mon semi-remorque.
Oui je suis routier,
J'aime l'aventure et j'ai roulé ma bosse aux quatre coins du monde.
J'en ai passé des frontières,
Et bouffé des kilomètres de poussière, de boue ou de neige.

À cette époque-là, je faisais la ligne sur l'autoroute de Californie.
Et c'est là justement que m'est arrivée cette étrange histoire.
J'venais de loin, j' conduisais depuis trop longtemps,
Et la fatigue commençait à se faire sentir.
J'hésitais à réveiller mon helper qui dormait dans la couchette.
Pour me tenir compagnie, j'avais branché mon CB,
Comme on dit par chez nous.
C'est cet appareil qui nous permet, à nous, les routiers,
De garder le contact et de nous entr'aider en cas de coup dur.

Je venais à peine d'allumer canal 27 de mon CB,
Lorsque j'entendis, à travers la friture,
Une petite voix lointaine qui parlait.
Une petite voix d'enfant qui appelait :
Allô, Allô, les routiers, ici Teddy, Teddy Bear, m'entendez-vous ?
Ici Teddy, répondez-moi.

Je tournai mon bouton de CB sur émission, et questionnai à mon tour :
- Allô, Allô Teddy, ici la route. D'où appelles-tu ? Que veux-tu ?
La voix du gamin répondit, un peu plus proche.
- Ici Teddy, j'appelle les routiers.
- Je t'reçois Teddy. Que veux-tu ?
- Je suis tout seul, je m'ennuie,
Et je voudrais parler un peu avec vous.
Je vous appelle avec le CB de mon papa.

Cet été nous avons eu un très grave accident,
Et je suis toujours dans mon lit.
Le docteur dit que je pourrai remarcher un jour,
Mais que ce sera sûrement très long.
J'habite une petite maison tout près de l'autoroute.
Je suis souvent seul le soir,
Car maman est serveuse dans un snack, pour nous faire vivre.

J'ai perdu mon papa dans l'accident qui a détruit son camion,
Et qui m'a cloué au lit.
Il m'emmenait de temps en temps pour les petites courses.
Mais maintenant il ne vient plus jamais personne.
Alors j'essaye de vous accrocher avec le CB qu'il nous reste,
Pour vous parler un petit peu, quand vous passez sur l'autoroute.

Je ne suis pas une fillette, mais il me sembla soudain
Que mes yeux se brouillaient, que j'y voyais moins bien.
A la première sortie venue,
J'arrêtai l' moteur et je sortis ma carte...
- Dis-moi, Teddy, où habites-tu exactement ?
Le petit me situa sa maison.
J'avais de l'avance sur l'horaire, je remis en marche
Et je sortis de l'autoroute.

Bien que j'aie foncé pour arriver chez lui,
Je n'étais pourtant pas le premier.
Bon sang, six énormes vans m'y attendaient.
Six copains avaient entendu notre conversation
Et m'avaient devancé, d'autres arrivaient encore.
On est tous entrés, on a sorti Teddy de son petit lit,
Et ce fut vraiment la fête !
Chacun voulait le porter, l'asseoir derrière son volant, le cajoler.
Le gamin rayonnait.

On lui donna un tas de petits gadgets qu'on avait dans nos cabines,
Et puis il fallut bien penser à reprendre la route.
Je le remis dans son lit, après l'avoir embrassé une dernière fois.
Je grimpai sur mon siège et je tirai le démarreur.
J'ai vu plus d'un dur qui détourna la tête.
On lui promit que chaque fois que l'on passerait sur l'autoroute,
On klaxonnerait d'une certaine manière pour qu'il nous entende.
On se quitta enfin.

Je n'avais pas fait trois kilomètres que mon CB crépitait à nouveau.
Mais c'était une autre voix, une voix émue de femme et elle disait :
- Allô les routiers, ici la maman de Teddy,
Merci les gars, vous êtes, vous êtes de braves types.
Bonne route et que Dieu vous protége.

Je n'ai pas pu répondre un seul mot,
J'ai coupé mon CB et alors seulement j'ai chialé,
Oui. chialé comme un vrai môme.

 

 

Texte  de 
Jacques Hourdeaux.