Nous
sommes en 1954, Franck se remet doucement de cette
perturbation causée par la guerre. Dix ans auparavant, il
était soldat, il faisait parti d’un peloton d’exécution.
Il n’oubliera jamais le visage pâle et les yeux bleus
de son ennemi allemand, qui le
fixait à l’ultime moment du passage de la vie à
la mort. Il souhaitait qu’une chose, c’est que ce soi
lui qui possédait la balle à blanc. Il vivait dans cet
espoir, car ils avaient le même âge et qui sait si dans
d’autres circonstances, ils ne seraient pas devenus:
amis. Il aurait un regret permanent de cet épisode de sa
vie de militaire. Quelque chose le poussait à aller en
Allemagne.
Un
jour, il entreprit le voyage avec sa voiture et une valise
en toile. Une fois la frontière passée, le trajet lui
paru interminable prenant tantôt une route nationale,
tantôt un chemin de campagne. Il ignorait où il allait
s’arrêter, il souhait s’imprégner de ce décor qui
avait dû être familier à ce soldat qu’il avait croisé,
le temps de mourir.
Au
moment où il aperçut un village, en haut d’une côte,
sa voiture stoppa. C’était la panne! Il s’aventura
jusqu’au garage le plus proche et il apprit que la réparation
demanderait deux ou trois jours, le temps que la pièce à
changer, soit disponible. Il prit congé, en jetant un
dernier coup d’œil à son véhicule et reprit à pied,
la direction du village avec l’espoir de trouver un hôtel.
La nuit était bien avancée, quand il fallut qu’il se
rende à l’évidence qu’il n’avait rien trouvé, à
cet endroit, pour passer la nuit. En croisant, une dame,
sur le trottoir, il se permit de l’aborder pour lui
demander l’adresse d’un gîte ou d’une auberge. La
personne lui sourit, en lui disant qu’il ne trouverait
rien à moins de 12 kilomètres. Voyant, son interlocuteur
préoccupé, elle lui dit:
“Je
peux vous offrir une chambre, le temps de votre séjour,
si vous ne craignez pas la présence de deux personnes âgés
qui vivent avec moi.”
Notre
jeune globe-trotter l’a remercia et chemin faisant, ils
échangèrent leurs prénoms et en arrivant à la ferme
Frida et Franck n’avaient plus de secret l’un pour
l’autre. Là, une femme tricotait une écharpe et
l’homme lisait un journal, quand ils virent l’étranger,
Frida leur dit:
“Ne
vous inquiétez pas, ce monsieur va rester avec nous le
temps que sa voiture soit réparée, il vient de France.
La jeune femme avait parlé dans un français correct et
le couple hocha la tête en signe d’approbation. Tout de
suite, l’ambiance fut conviviale, Franck expliqua son
aventure pendant que Frida préparait le repas. Le jeune
homme était en admiration devant ce décor qui
s’offrait à ses yeux: Chaque vase avait son petit
napperon. Sur un guéridon, il y avait un cadre et en
fixant la photo, Franck reconnu le visage de ce garçon
qu’il avait eu au bout de son fusil... Dix ans,
auparavant! La vieille dame s’aperçut de son trouble et
lui dit:
“C’est
le dernier portrait de mon fils, Hans qui a été tué à
la terrible guerre.” En entendant ces mots, Frida
s’approcha et continua:
“
Je n’ai pas fait les présentations, se sont les parents
de mon fiancé. Après la mort de leur fils, je n’ai pas
eut le cœur à les laisser dans leur chagrin, de plus
leur maison a été détruite dans un bombardement, ils
ont tout perdu. Je sais qu’en France aussi, vous avez
eut beaucoup de malheurs et c’est dure de panser toutes
les plaies!”
Franck
avait écouté Frida dans un silence religieux, ses mains
étaient glacées. Il aurait donné cher pour ne pas être
dans cette situation. Quelle réaction pouvait-il avoir
devant ces parents tristes et aveuglés par les larmes!
Pour continuer, il parla des dommages également causés
par la guerre, côté français. A 23 heures, il prit congé
et regagna la chambre préparée par les bons soins de son
hôtesse. Avant de s’endormir, il pensait à la
discussion qu’il faudrait avoir pour dévoiler son...
passé. A son réveil, la bonne odeur du café remplissait
la salle à manger, il prit place entre Frida et la maman
de Hans, après les avoir salués. Il se sentait adoré
par ses trois personnages inconnus la veille. Frida
proposa à notre jeune français de l’accompagner au
village pour prendre des nouvelles de la pièce dont sa
voiture avait besoin. Sur la route, la jeune fille prit la
main de son compagnon et lui dit:
-“Je
ne souhaite pas que votre voiture soit prête, car si vous
deviez partir demain, je serais très malheureuse. Vous
aussi, êtes triste depuis que je vous ai présenté les
parents de Hans, vous n’avez peut-être plus de
famille?” Il comprit que c’était le moment de dévoiler
son secret!
Ils
rentrèrent dans un bar, s’installèrent à une table à
l’abri des regards et après avoir commander un café,
il commença son récit.
Celui-ci
fut entrecoupé
de soupirs et de larmes, mais cette émotion les unissait
encore plus fort. En guise de conclusion, il dit:
-“Je
t’ai dit la vérité dans les moindres détails, j’ai
été honnête, j’ai beaucoup d’affection pour toi et
les parents de Hans, mais je dois partir au plus vite...
de vos vies, mais avant, par respect, je veux parler à
ces pauvres gens. Je compte sur toi pour m’aider à leur
expliquer. Je n’aurai pas voulu être le témoin des
dernières secondes de vie de leur fils, dans ces
circonstances. C’était la guerre, hélas!
Si
tu veux, je t’enverrais une carte de mon village de
France, en souvenir de moi, Pardon, chère Frida.”
Ils
se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. De retour
du village, Franck recommença
son récit, devant les parents, en les tenant par la main.
Quand il eut fini, les parents émus lui firent un geste
qui signifiait qu’il était “pardonné”. Au moment
de partir, tout le monde pleurait, mais Franck était délivré
de ce poids qu’il gardait depuis six ans. Il quittait
trois cœurs meurtris par la douleur. Comme promit, à son
retour en France, Franck écrivit une carte, puis une
lettre. Les réponses de Frida étaient de plus en plus
amicales. Les appels téléphoniques qui suivirent obligèrent
notre français à repartir vers son amie allemande qui
lui avait avoué son amour et le consentement des parents
de Hans pour envisager une union. C’est ainsi que par un
beau jour de mai, on célébra le mariage de deux êtres
rapprochés par la douleur où Frida retrouvait l’amour
d’un homme et deux vieux parents: l’affection d’un
fils.
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