MATRICULE 4907 C.G. 42.



 Depuis le début de sa vie, Gérard ne connaît comme identité que des... numéros. 
A l’âge où tous les enfants ont un diminutif très doux à leurs oreilles, lui obéissait à une immatriculation. Parce que sa mère n’avait pas voulu prendre ses responsabilités,
 il ne connaîtrait jamais la tendresse maternelle. A neuf ans, un couple vint le chercher, notre petit orphelin quitta ses copains, croyant à un avenir... meilleur. 
Pendant les heures que dura le trajet, il écouta discuter les deux grandes personnes,
 sans que jamais leurs regards ne croisent le sien. 
Ils avaient la voix forte des gens de la campagne. Quand la voiture stoppa, il vit une grande bâtisse entourée d’arbres. Au moment où il allait franchir le seuil de la porte, il sentit une main le retenir par l’épaule et en lui montrant l’écurie, l’homme lui dit :

“Ta place sera à cet endroit pendant tout le temps que tu resteras là.”

A cet instant, Gérard comprit le “rôle” qu’il était venu jouer. 
L’été battait son plein entre les moissons et les besognes de plus en plus pénibles où de plus il fallait supporter le soleil et endurer la soif, sans jamais le moindre signe d’affection. La saison terminée, il fut reconduit à l’orphelinat en laissant derrière lui, comme seul regret la petite chèvre blanche qu’il emmenait brouter, les après-midis.

Pendant dix ans, chaque année se fut la même chose avec toujours la même indifférence de la part des familles.

L’année de sa majorité, Gérard dit “adieu” aux murs gris qui l’avaient vu grandir. 
Une secrétaire de l’établissement lui remit ses papiers civils et là, il découvrit le second prénom
qui lui servait de nom de famille. 
En traversant, la cour qui le libérait, il se jura que bientôt, on l’appellerait : Monsieur.

Hélas, pendant huit jours, il n’y eut que des portes qui se refermaient sur lui, rien que de savoir qu’il sortait de l’assistance publique. 
Il connut la soupe tiède de l’asile et les bancs des squares !
 La vie continuait à être de plus en plus amère, pour notre si gentil jeune homme.

C’est la neige qui lui permit de gagner un peu d’argent, en faisant l’entretien des trottoirs et des jardins publics. Il trouva, avec beaucoup de difficulté, un studio qu’il meubla avec le strict minimum. En croisant les couples lui aussi, pensait à la jeune fille affectueuse avec qui il pourrait partager sa modeste vie.

C’est Aline qui fut la première à l’appeler par son prénom. Malheureusement, Gérard s’aperçut trop tard de la frivolité de la demoiselle. 
Neuf mois plus tard, la petite catastrophe s’appela : Nathalie.

Le bébé vit le jour dans des conditions lamentables, avec une “maman” qui ne savait pas faire de caresses, ni préparer un biberon ! 
Malgré sa patience, notre papa qui avait tout à s’occuper, prit la décision de se séparer de cette femme qui lui donnait plus de peines que de satisfactions.
 Il ne désirait pas faire vivre à son enfant, les scènes que lui-même avait du vivre.
 Notre pauvre papa n’eut pas de difficultés à obtenir la garde de sa petite fille. C’est dans une indifférence totale qu’Aline partit de la maison conjugale. 
Ce que notre papa n’avait pas prévu, c’est que pendant ses heures de travail, son enfant aurait besoin de surveillance et c’est le jour de son premier anniversaire qu’une assistante sociale vint chercher la petite fille ! 
Le choc fut si terrible que le lendemain, on ne vit pas Gérard sur son lieu de travail, mais sur un lit d’hôpital.
 A son réveil, il aperçut à son poignet un bracelet de gaze avec un numéro inscrit au stylo et il pensa :

“Un chiffre de plus à me rappeler !” Quand, l’infirmière entra dans sa chambre, il demanda de suite des nouvelles de sa petite. 
La dame en blanc lui promit de se mettre en contact avec son orphelinat. 
C’est ainsi que chaque jour, cette bonne fée, lui redonnait confiance et lui remontait le moral pour qu’il soit le plus vite possible sur pied. 
Dans son malheur, il avait trouvé dans cette femme, l’affection qui lui avait toujours manqué. 
Elle était devenue une confidente, une mère par la différence d’âge. 
Le jour de sa sortie de l’hôpital, ils se promettaient de se revoir pour ne pas perdre ce fil de l’amitié qui s’était tissé entre eux.

L’année qui suivie fut entrecoupée de petites joies avec la connaissance de Laurence, il avait crut trouver en elle, une maman pour sa petite Nathalie, mais, elle ne pensait qu’à ses plaisirs et elle ne tarda pas à laisser Gérard dans un grand désarroi. 
Il reprit en trois fois, le chemin des hôpitaux et maisons de convalescence en laissant toujours sa petite Nathalie aux mains de la D.D.A.S.S.

Aujourd’hui encore, Gérard n’a pas trouvé une stabilité matérielle et morale. 
Il traîne sans but, sans amours, sans avoir pu reprendre sa fille qui lui demande à chacune de ses visites :

“Papa, pourquoi tu n’as jamais eu de chance, c’est pas juste, on s’aime bien, pourtant ?”

Gérard ne répond pas, il pleure. 
Quelques fois, il téléphone à son amie infirmière pour se redonner du courage.
 Avec elle, il est sûr d’avoir un sourire et une identité.
 Elle sait très bien
que si elle lui refusait cette amitié, l’heure serait vite venue pour son ami de recevoir l’ultime numéro :
 celui qui précéderait son nom sur le registre de l’Etat civil à la page : DECES !

 

Maud


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