Depuis
le début de sa vie, Gérard ne connaît comme identité que
des... numéros.
A l’âge où tous les enfants ont un diminutif très doux à
leurs oreilles, lui obéissait à une immatriculation. Parce que
sa mère n’avait pas voulu prendre ses responsabilités,
il ne connaîtrait jamais la tendresse maternelle. A neuf
ans, un couple vint le chercher, notre petit orphelin quitta ses
copains, croyant à un avenir... meilleur.
Pendant les heures que dura le trajet, il écouta discuter les
deux grandes personnes,
sans que jamais leurs regards ne croisent le sien.
Ils avaient la voix forte des gens de la campagne. Quand la
voiture stoppa, il vit une grande bâtisse entourée d’arbres.
Au moment où il allait franchir le seuil de la porte, il sentit
une main le retenir par l’épaule et en lui montrant l’écurie,
l’homme lui dit :
“Ta place sera à
cet endroit pendant tout le temps que tu resteras là.”
A cet instant, Gérard
comprit le “rôle” qu’il était venu jouer.
L’été battait son plein entre les moissons et les besognes de
plus en plus pénibles où de plus il fallait supporter le soleil
et endurer la soif, sans jamais le moindre signe d’affection. La
saison terminée, il fut reconduit à l’orphelinat en laissant
derrière lui, comme seul regret la petite chèvre blanche qu’il
emmenait brouter, les après-midis.
Pendant dix ans,
chaque année se fut la même chose avec toujours la même indifférence
de la part des familles.
L’année de sa
majorité, Gérard dit “adieu” aux murs gris qui l’avaient
vu grandir.
Une secrétaire de l’établissement lui remit ses papiers civils
et là, il découvrit le second prénom qui
lui servait de nom de famille.
En traversant, la cour qui le libérait, il se jura que bientôt,
on l’appellerait : Monsieur.
Hélas, pendant huit
jours, il n’y eut que des portes qui se refermaient sur lui,
rien que de savoir qu’il sortait de l’assistance
publique.
Il connut la soupe tiède de l’asile et les bancs des squares !
La vie continuait à être de plus en plus amère, pour
notre si gentil jeune homme.
C’est la neige qui
lui permit de gagner un peu d’argent, en faisant l’entretien
des trottoirs et des jardins publics. Il trouva, avec beaucoup de
difficulté, un studio qu’il meubla avec le strict minimum. En
croisant les couples lui aussi, pensait à la jeune fille
affectueuse avec qui il pourrait partager sa modeste vie.
C’est Aline qui fut
la première à l’appeler par son prénom. Malheureusement, Gérard
s’aperçut trop tard de la frivolité de la demoiselle.
Neuf mois plus tard, la petite catastrophe s’appela :
Nathalie.
Le bébé vit le jour
dans des conditions lamentables, avec une “maman” qui ne
savait pas faire de caresses, ni préparer un biberon !
Malgré sa patience, notre papa qui avait tout à s’occuper,
prit la décision de se séparer de cette femme qui lui donnait
plus de peines que de satisfactions.
Il ne désirait pas faire vivre à son enfant, les scènes
que lui-même avait du vivre.
Notre pauvre papa n’eut pas de difficultés à obtenir la
garde de sa petite fille. C’est dans une indifférence totale
qu’Aline partit de la maison conjugale.
Ce que notre papa n’avait pas prévu, c’est que pendant ses
heures de travail, son enfant aurait besoin de surveillance et
c’est le jour de son premier anniversaire qu’une assistante
sociale vint chercher la petite fille !
Le choc fut si terrible que le lendemain, on ne vit pas Gérard
sur son lieu de travail, mais sur un lit d’hôpital.
A son réveil, il aperçut à son poignet un bracelet de
gaze avec un numéro inscrit au stylo et il pensa :
“Un chiffre de plus
à me rappeler !” Quand, l’infirmière entra dans sa chambre,
il demanda de suite des nouvelles de sa petite.
La dame en blanc lui promit de se mettre en contact avec son
orphelinat.
C’est ainsi que chaque jour, cette bonne fée, lui redonnait
confiance et lui remontait le moral pour qu’il soit le plus vite
possible sur pied.
Dans son malheur, il avait trouvé dans cette femme, l’affection
qui lui avait toujours manqué.
Elle était devenue une confidente, une mère par la différence
d’âge.
Le jour de sa sortie de l’hôpital, ils se promettaient de se
revoir pour ne pas perdre ce fil de l’amitié qui s’était
tissé entre eux.
L’année qui suivie
fut entrecoupée de petites joies avec la connaissance de
Laurence, il avait crut trouver en elle, une maman pour sa petite
Nathalie, mais, elle ne pensait qu’à ses plaisirs et elle ne
tarda pas à laisser Gérard dans un grand désarroi.
Il reprit en trois fois, le chemin des hôpitaux et maisons de
convalescence en laissant toujours sa petite Nathalie aux
mains de la D.D.A.S.S.
Aujourd’hui encore,
Gérard n’a pas trouvé une stabilité matérielle et
morale.
Il traîne sans but, sans amours, sans avoir pu reprendre sa fille
qui lui demande à chacune de ses visites :
“Papa, pourquoi tu
n’as jamais eu de chance, c’est pas juste, on s’aime bien,
pourtant ?”
Gérard ne répond
pas, il pleure.
Quelques fois, il téléphone à son amie infirmière pour se
redonner du courage.
Avec elle, il est sûr d’avoir un sourire et une identité.
Elle sait très bien que
si elle lui refusait cette amitié, l’heure serait vite venue
pour son ami de recevoir l’ultime numéro :
celui qui précéderait son nom sur le registre de l’Etat
civil à la page : DECES !
Maud |