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nuit commençait à tomber sur la ville quand Agnès sortit de
chez le médecin. Son diagnostic était formel : Elle était
enceinte. Elle avait dix-huit ans et sa seule erreur était
d’avoir cédé à ce jeune homme qu’elle avait aimé et qui
venait de partir pour l’Australie où un “poste”
l’attendait dans son métier d’ingénieur. Il ne saurait
jamais qu’il avait laissé sa douce compagne, dans cette
situation critique. Il fallait maintenant qu’elle affronte
seule, ses parents.
Tout le long du chemin, elle tourna et
retourna dans sa tête, la formule si honteuse à prononcer.
Leur aventure avait été si vite qu’elle
n’avait pas eu l’occasion de parler de Fabien à sa famille.
Là,
d’un seul coup, elle devait avouer la terrible nouvelle de sa
future maternité.
Quand Agnès tourna le loquet pour pénétrer
dans le hall, elle vit le regard sévère de son père. Il lui fit
constater l’heure tardive, en élevant la voix. La jeune fille
excusa son retard en donnant tout de suite le motif. Elle n’eut
pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait quand le père
l’attrapa par un bras, en ouvrant la porte, il dit d’une voix
sèche :
“Ne remets plus les pieds ici, je ne veux
plus entendre parler de toi et de ton...bâtard, tu n’es plus ma
fille... notre fille!" Elle regarda sa maman qui pleurait,
elle était impuissante devant la décision de son mari et elle
regarda tristement, se refermer la porte. Dans la rue, Agnès
errait le long des trottoirs, les yeux mouillés de larmes. Une
heure plus tard, elle aperçue un écriteau à la porte d’un
immeuble où elle lut : *Chambres à louer*. Elle compta son
argent de poche et, timidement
frappa à la porte de la conciergerie. Une dame
vint lui ouvrir et la dirigea à sa chambre.
Pour
cette”orpheline”, la nuit fut très longue. Elle pensait à ce
que serait... Demain ! A huit heures, elle descendit les
escaliers pour aller à la recherche d’un petit boulot. La dame
de l’immeuble l’a voyant pleurer lui proposa d’entrer boire
un café. Avec des sanglots dans la voix, la pensionnaire expliqua
ses déboires à cette personne qui l’écoutait si
maternellement et qui partageait sa peine. A la fin de son récit,
la concierge lui proposa un petit travail pour l’aider à
l’entretien de l’immeuble. Agnès était un peu soulagée de
voir qu’il y avait encore des gens humains.
Ceci lui permit de garder sa chambre jusqu’à
l’arrivée de son bébé. Aux premiers jours de l’été, Agnès
mit au monde, un beau garçon de huit livres. Elle le prénomma
Jean-Pierre en souvenir de son grand-père.
Les années s’écoulèrent pénibles pour élever
seule, cet enfant. Elle avait toujours le soutien de
cette”maman” qui l’avait recueillit un soir de novembre.
Elle avait aidé Agnès par ses conseils et
surtout sa présence. Jean-Pierre, après de brillantes études était
devenu interne dans l’hôpital de la ville. Un jour, dans son
service, il reçut un homme qui souffrait de douleurs
intestinales. Il établit un dossier et constata qu’il portait
le même nom :Jean-Pierre Ronzier. Tout de suite, le patient
fut en confiance avec ce jeune docteur.
Lors d’une conversation
avec sa mère, Jean-pierre fit part de cette étrange coïncidence.
Agnès comprit tout de suite :“Mon fils, lui dit-elle, tu es en train de
soigner ton grand-père ! fais ton possible pour soulager sa
souffrance et manifestes-lui ton affection, sans rien lui dévoiler.”
Jean-Pierre se rendit à l’hôpital avec une
hâte démesurée à l’idée de revoir cet homme qui n’était
plus un étranger. Quand il arriva à son chevet, il s’aperçut
que le mal avait empiré. Le malade l’accueillit avec un faible
sourire :“Approchez, je vous attendais. Je croyais que
je n’aurai pas le temps de vous revoir. Il faut que je vous dire
quelque chose. J’ai une grande faute à me faire pardonner :Il existe quelque part, un jeune homme de votre
âge que je n’ai jamais vu. Je regrette le geste que j’ai fait
en rejetant ma fille parce qu’elle allait m’offrir un enfant
illégitime.”
Le jeune homme prit la main du vieillard et dit :“Ne vous inquiétez pas pour lui. Depuis
votre entrée dans cet établissement, c’est lui ...c’est moi
qui te soigne ! J’espère que tu n’es pas trop déçu et
que ton petit-fils te fais honneur.”
A ces mots, le bon vieux se souleva pour
embrasser cet homme en blouse blanche qui venait de lui faire une
telle révélation. Le grand-père continua, essoufflé :“ Je t’en prie, va téléphoner à ta mère.
Je veux la voir pour lui demander pardon et la féliciter. Vite,
mon gars, le temps presse.”
Le jeune homme se rendit au standard et invita
sa mère à venir à l’hôpital. Quand Agnès arriva sur les
lieux, émue et angoissée, elle fut accueillit par son fils qui
lui dit :“ Maman, je viens de lui fermer les yeux. Il
a résisté, il aurait tant voulu obtenir ton pardon. Je crois que
de m’avoir connu, lui a soulager un peu la conscience.
Maintenant, il faut aller chercher mamy ! ”
Il passa son bras autour des épaules de sa mère
jusqu’à la chambre où reposait le corps de son grand-père.
Elle avait bien besoin du soutien de son fils pour poser un
dernier baiser sur le front du défunt.