CRUELLE REPETITION.



 

Chaque jour, au fond d’une cour, une femme aux cheveux blancs est assise, un album de photos sur les genoux. 
Comme pour arrêter le temps, elle feuillette une page et revient vite à l’arrière, inlassablement.

Un jour, elle m’invita à m’asseoir à côté d ‘elle et je découvris son album, page après page.

Comme dans les contes de fées, la première page est une photo de mariage avec ces mots :

ALBERTINE ET GILBERT 15/5/1945. 
Avec la fin de la guerre, une vie de rêve s’offrait à ce jeune couple.

Sur la page suivante, apparaissait le visage d’une adorable petite fille :

C’était PASCALE avec des yeux noirs et un large sourire.
 Au fil des pages, le bébé laissait la place à une jolie petite brunette au regard espiègle. 
Et ainsi de suite défilaient les années, page après page.
 Chaque fois, ALBERTINE faisait un petit commentaire sur les conditions dans lesquelles les photos avaient été prises, avec de plus en plus d’émotions dans la voix. 
Je compris vite, le pourquoi, quand mes yeux découvrirent une page blanche qui correspondait à la vingtième année de Pascale. 
Je tournais mon regard vers ma voisine et en me prenant la main, elle me dit :

“J’aurai été heureuse de coller à cet emplacement, une photo de ma fille unique. 
J’attendais ce jour avec autant d’amour que vingt ans auparavant. 
J’ignorais la scène dramatique qui m’attendait au moment de lui dire bon anniversaire, ma fille !”

Tout en poursuivant son récit, ma chère mamie tournait son alliance et les yeux plein de larmes, elle continua :

“Le cœur d’une mère n’a pas de limites pour le bonheur de ses enfants. 
C’est peut-être un tord de trop les aimer ! 
Pascale a un caractère très autoritaire et indépendant. 
Je ne savais jamais rien de ses fréquentations. 
Je crois que ce n’aurait pas été un crime que de me tenir un peu au courant.
 C’est comme ça qu’au milieu de ses cadeaux, en guise de remerciements, ma fille me regarda d’un air dédaigneux en me disant :

“Tu peux tout garder, je ne veux rien accepter de toi, je prends ma liberté et vivre... Loin de toi !”

Par ces paroles, c’était vingt ans d’une vie qui s’écroulait. 
Elle oubliait tous mes sacrifices à l’élever seule, depuis la mort de son père.

Elle ignorait que je n’avais pas voulu refaire ma vie, de peur de la perturber !
 Je la vis ouvrir la porte, en colère, accompagné d’un long silence...
 Elle venait de partir !”

Pendant que Madame MOURIER continuait son récit, j’avais du mal à trouver des mots de réconfort. 
Elle poursuivit en me disant :

“A partir de ce moment, la solitude fut ma seule compagne.

Un jour, par une nièce, j’appris que ma fille avait été maman à son tour d’une petite Mireille, puis deux ans plus tard, ce fut au tour d’un garçon à venir agrandir, le cercle familial.
 Je savais qu’elle était heureuse et qu’elle vivait dans une aisance matérielle parfaite ! 
Et à moi, il ne restait que les souvenirs !”

Tout en restant attentive aux paroles de mon interlocutrice, je me mis à tourner les feuilles de l’album et qu’elle fut ma surprise de lire :

“15 octobre 1985 : PASCALE, MIREILLE, FRANÇOIS. 
En effet, sur cette page se détachait une splendide photo en couleur réunissant ces trois personnes, si chères à son cœur !

Etonnée, je regardais ma mamie et avant que je l’interroge, elle me dit :

“ Après vous avoir raconter ce silence de vingt ans, vous pensez peut-être que cette photo allait tout effacer, hélas, elle n’a été qu’une lueur d’espoir qui ne s’est pas renouvelée !

C’est à l’occasion du mariage de ma nièce que cette rencontre a été possible.
 En un instant, je revoyais ma fille et faisait la connaissance de mes petits-enfants ! 
En une fraction de seconde, j’oubliais vingt ans de souffrances morales. 
Ce jour-là, je n’aurai pas voulu qu’il y ait un : « au revoir. » 
Mais, on
se promit de se revoir, très vite. 
Et ma vie se raviva à chacune de leurs visites. 
J’essayais de rattraper en huit jours, vingt ans de néant avec des ballades dans les bois, des repas dans les restaurants et les dépenses folles dans les grands magasins !

Tout ça, en évitant de parler du passé. 
Je sentais bien que ces chers petits avaient du mal à m’appeler Mamie, mais ils étaient près de moi et c’était le principal !

Quel beau souvenir, le jour où ma fille, m’invita dans sa maison. 
Je découvrais son univers où rien ne manquait. 
Je me rappelle les repas sous la tonnelle, les cris des enfants dans la piscine.

Malgré tout, je ressentais une certaine indifférence de la part de mes petits enfants.

Mireille, n’avait pas l’idée de s’approcher de moi pour me faire ses petites confidences d’adolescente. 
Mais, j’étais peut-être trop… exigeante !

La nouvelle “coupure” se produisit le jour où ma fille m’apprit que Mireille venait de donner naissance à une petite fille.
 Mon étonnement passé, je proposais à Pascale, pour que l’annonce fut plus officielle, que cet
évènement me soit confirmé par ma petite-fille !

Pour toute réponse, j’entendis un long “bip” dans l’écouteur. 
Je compris qu’une nouvelle fois, j’avais été trop exigeante puisque ce silence dure encore aujourd’hui. 
Pour combien de temps ? 
J’aimerai tant que la dernière page de cet album contienne le portrait de ce bébé qui adoucirait mes prochaines années “d’automne”. 
Pour le moment, chaque jour qui passe me procure une nouvelle ride.”

Je souhaite de tout cœur que Mireille se rappelle que sa grand-mère attend un petit geste de sa part avant de mourir de… chagrin !


Maud


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dans mon livre d'or